Google Actualités: combien de temps encore va t’on laisser Google fonder son modèle économique sur la violation des droits des tiers ?

Google Actualités, Google Livres, Google Images, Youtube: tous ces services ont été lancés sans avoir obtenu l’autorisation préalable des ayants droit qui détiennent un droit exclusif sur les contenus qu’ils créent, l’un des fondements et grands principes des droits d’auteur depuis des siècles. Ainsi, toute reproduction, représentation ou exploitation d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés ou qui n’a pas fait l’objet d’une autorisation préalable et expresse de l’auteur ou de ses ayants-droit est un acte de contrefaçon au sens du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI). Mais face à la toute puissance de Google, les plus grands éditeurs de livres tels que Hachette Livre ont été contraints de transiger pour ne pas avoir à supporter les coûts exorbitants d’un procès, les gouvernements tentent de mettre en place des “taxes” (Taxe Google Images, Taxe Youtube), et l’Union Européenne créé un nouveau droit voisin des éditeurs de presse alors même que la titularité des droits de l’entreprise de presse sur l’œuvre collective que peut représenter le journal pris dans sa globalité lui permet déjà d’être recevable à agir en justice au titre du droit d’auteur dès lors qu’il est fait appel à une partie ou à l’intégralité de l’œuvre collective. Certains jugent aujourd’hui que la récente décision de Google de supprimer les extraits des articles de presse est contraire à l’esprit et à la lettre de la directive sur le droit d’auteur. Elle est parfaitement en ligne avec la politique éditoriale et le modèle économique de Google depuis 20 ans.

En préambule, rappelons le dispositif légal préexistant:
Article L113-2 du CPI: Est dite collective l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.
 

Article L122-4: Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

Article L122-5: Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;

b) Les revues de presse ;

9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une oeuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur.

Le premier alinéa du présent 9° ne s’applique pas aux oeuvres, notamment photographiques ou d’illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l’information.

Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d’information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.

Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

Article L335-2: Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

Article L335-3: Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.

Rappelons enfin qu’existent également les notions de contrefaçon par fourniture de moyens et de recel lorsque l’exploitant du service en ligne a connaissance de l’origine délictueuse des contenus.
Article 321-1 du Code Pénal : Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit. Le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
En juillet dernier, le Parlement français a adopté définitivement un droit voisin au bénéfice des agences et éditeurs de presse, transposition en droit national de l’article 15 de la nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur. Si cette loi a été promulguée le 24 juillet puis publiée au Journal officiel cinq jours plus tard, elle prévoit son entrée en vigueur 3 mois après sa promulgation, soit le 24 octobre 2019. La durée de protection du droit voisin des éditeurs de presse et des agences de presse sera de 2 ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication (contre 70 ans à compter de la mort de l’auteur en matière de droit d’auteur …).
Le droit voisin au profit des éditeurs de presse avait précédemment été mis en place en Espagne en 2014 (taxe Asociación de Editores de Diarios Españoles) et la réponse de Google avait été d’indéxer les articles sans aucun extrait provoquant une chute d’audience massive des sites de presse contraints alors d’octroyer des licences gratuites à Google pour l’autoriser à reprendre les extraits.
La création de ce droit voisin au niveau européen devait permettre aux éditeurs de se faire rémunérer lors de la réutilisation en ligne de leurs contenus par des agrégateurs d’informations (Google Actualités) ou les réseaux sociaux (Facebook). Sont exclus les hyperliens, les mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse sauf lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer. Par ailleurs, ces agrégateurs et réseaux sociaux sont tenus de fournir aux éditeurs tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération. Ainsi, les ayants-droit devaient avoir le droit à une part appropriée et équitable des revenus générés grace à eux. Fair enough, isn’t ?
Pas pour Google qui, 2 mois plus tard, annonce qu’elle n’affichera plus en France les extraits d’actualités sans accord avec l’éditeur et sans aucune rémunération. Seuls perdureront les liens hypertextes conformément à la directive et à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
L’Autorité de la Concurrence a décidé de lancer une enquête exploratoire sur les nouveaux outils mis en place par Google. Cette procédure permet de recueillir des informations auprès des acteurs du marché et si ces informations le justifient, une procédure contentieuse pourra alors être déclenchée. L’analyse des marchés pertinents de la data et de la publicité en ligne pourrait déterminer l’existence d’un abus de position dominante.

Mais la question reste de comprendre pourquoi créer de nouveaux dispositifs juridiques au lieu de tenter de faire appliquer les dispositifs existants ? D’autant qu’il sera tout aussi difficile de faire appliquer les nouveaux dispositifs dont les contours jurisprudentiels sont encore incertains.

Il ne s’agit donc pas d’une problématique exclusivement juridique mais d’un rapport de force où les états peinent de plus en plus à faire respecter par les GAFAM et autres grands groupes internationaux les réglementations applicables au préjudice des citoyens, créateurs et producteurs de contenus. Et quand on sait que nos élus se réjouissent en matière fiscale de la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public avec Google d’un montant de moins d’un milliard d’euros alors que Google risquait une amende théorique de plus plus de 8 milliards d’euros, on ne peut y voire qu’un aveu d’impuissance: légiférer, transiger n’est pas condamner.

 

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https://www.nextinpact.com/news/108220-face-a-google-edouard-philippe-au-chevet-editeurs-presse.htm

https://www.nextinpact.com/news/108245-droits-voisins-fragile-raisonnement-pierre-louette-les-echos-face-a-google.htm

https://www.spiil.org/s/news/les-droits-voisins-sont-une-chim-re-20Y2o000000LEoDEAW

https://www.nextinpact.com/news/108100-promulgation-loi-sur-droits-voisins-presse-mode-demploi.htm

https://www.nextinpact.com/news/91361-google-news-va-fermer-en-espagne.htm

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alt/droit_voisin_editeurs_presse_ligne

https://www.blogdumoderateur.com/droit-auteur-medias-conserver-referencement-google

https://www.blogdumoderateur.com/droit-auteur-medias-consequences-google/

https://www.offremedia.com/droits-voisins-lautorite-de-la-concurrence-ouvre-une-enquete-exploratoire