Identification, saisie et confiscation des avoirs criminels

La loi Warsmann du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale avait pour objectif de développer les procédures de saisie dans une perspective non plus seulement probatoire mais également patrimoniale.  Il s’agissait d’introduire une dimension patrimoniale à la peine pénale pour la rendre plus dissuasive, de généraliser l’enquête patrimoniale et d’améliorer la gestion des biens confisqués via l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC).

 

Confiscation

 

“La peine complémentaire de confiscation est encourue (…) de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, à l’exception des délits de presse. La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition. Elle porte également sur tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, à l’exception des biens susceptibles de restitution à la victime. Si le produit de l’infraction a été mêlé à des fonds d’origine licite pour l’acquisition d’un ou plusieurs biens, la confiscation peut ne porter sur ces biens qu’à concurrence de la valeur estimée de ce produit (…) S’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné lorsque celui-ci, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’a pu en justifier l’origine (…) La confiscation est obligatoire pour les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement, ou dont la détention est illicite, que ces biens soient ou non la propriété du condamné. La peine complémentaire de confiscation s’applique dans les mêmes conditions à tous les droits incorporels, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis. Lorsque la chose confisquée n’a pas été saisie ou ne peut être représentée, la confiscation est ordonnée en valeur. Pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose confisquée, les dispositions relatives à la contrainte judiciaire sont applicables. La chose confisquée est, sauf disposition particulière prévoyant sa destruction ou son attribution, dévolue à l’Etat, mais elle demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement constitués au profit de tiers. Lorsque la chose confisquée est un véhicule qui n’a pas été saisi ou mis en fourrière au cours de la procédure, le condamné doit, sur l’injonction qui lui en est faite par le ministère public, remettre ce véhicule au service ou à l’organisme chargé de sa destruction ou de son aliénation” (art.131-21 CP)

 

La confiscation est envisagée comme une peine complémentaire notamment:

  1. pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, à l’exception des délits de presse. La confiscation porte sur le bien en lien avec l’infraction (instrument de l’infraction, produit direct ou indirect de l’infraction ou encore objet de l’infraction);
  2. pour les crimes ou les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect. La confiscation en valeur peut porter sur un bien sans lien direct avec l’infraction lorsque l’origine du bien ne peut être justifiée;
  3. pour certains crimes et délits qui le prévoient, la confiscation peut porter sur un bien sans rapport avec l’infraction (ex. confiscation de patrimoine). La peine est alors encourue sans qu’il soit besoin d’établir que le bien a été acquis illégalement ou qu’il ait un lien avec l’infraction. Il suffit que le condamné soit propriétaire du bien ou qu’il en ait la libre disposition, sous réserve du droit du tiers propriétaire de bonne foi;
  4. pour les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement, ou dont la détention est illicite. La confiscation est obligatoire, que le condamné soit ou non propriétaire du bien.

 

Il s’agit notamment d’appréhender les avoirs criminels liés aux affaires économiques et financières, aux affaires de criminalité organisée (une peine de confiscation est prononcée dans 46% des affaires de trafic de stupéfiants), aux affaires de délinquance du quotidien, mais également les biens mal acquis qui recouvrent les avoirs et biens détournés du budget d’une organisation internationale, d’un Etat ou d’une entreprise publique et placés à l’étranger à des fins personnelles par une personnalité politique. Il s’agit donc de lutter également contre la corruption internationale et de restituer les biens mal acquis aux États d’origine (ex. investissements du vice-président de la Guinée Équatoriale sur le territoire français).

 

Le caractère dissuasif du dispositif est notamment démontré par le fait que des personnes condamnées à de lourdes peines limitent souvent leur appel à la seule décision de confiscation. Si ils intègrent la peine de prison dans leurs parcours criminel, il leur est difficile d’intégrer la peine de confiscation qui touche leurs proches par ricochet.

 

On retrouve cette dimension patrimoniale en matière de lutte contre la contrefaçon sur Internet dans l’approche dénommée “Follow the money” qui a pour objectif d’assécher les ressources financières des sites vendant de la contrefaçon en ligne, en impliquant les intermédiaires de paiement. Développée aux États-Unis, au Canada, en Italie ou encore en Australie, elle a pour objectif la fermeture effective des comptes en banque liés à ces sites marchands, quelle que soit leur localisation géographique, et obtenir le gel des avoirs financiers pendant une période permettant de diligenter des enquêtes visant à les saisir.

 

AGRASC

“L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués est un établissement public de l’Etat à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la justice et du ministre chargé du budget” (art. 706-159 CPP)

 

L’AGRASC a pour missions:

  1. la gestion des avoirs criminels saisis et confisqués (navires, véhicules de luxe, sommes saisies au cours des procédures pénales, etc.);
  2. La vente avant jugement des biens dont la confiscation est prévue par la loi, dont la conservation en nature n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien. Le produit de la vente est alors consigné en attendant la fin de la procédure;
  3. la redistribution du produit des confiscations afin d’assurer le paiement des créances fiscales, douanières ou encore sociales et le dédommagement des parties civiles. En cas de condamnation définitive accordant des dommages et intérêts aux parties civiles, l’AGRASC procède à leur indemnisation par prélèvement sur la valeur des biens confisqués
  4. la formation et l’assistance des juridictions et procureurs de la République.

 

Avec l’AGRASC chargée de gérer les avoirs saisis, plusieurs structures concourent à l’identification et à la saisie des avoirs criminels, dont la Plate-forme d’Identification des Avoirs Criminels (PIAC) chargée de l’identification des avoirs criminels au sein de l’Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière (OCRGDF) de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Et chaque acteur dispose d’un SI et d’outil statistique qui lui est propre. Ainsi, les services d’enquête relevant de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN) ceux de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN), la PIAC, le ministère de la justice et l’AGRASC ne partagent ni les mêmes SI, ni les mêmes méthodes de comptage, ni les mêmes finalités dans l’exploitation des données, ce qui rend difficile l’exploitation des données statistiques. Les services d’enquête comptabilisent le montant des saisies en valeur tandis que le ministère de la justice comptabilise le nombre de décisions de confiscation prononcées par les juridictions. En l’absence d’un outil centralisé de suivi, il n’est donc pas possible d’établir le différentiel entre saisies opérées et confiscations réalisées. Par ailleurs, la valeur d’estimation du bien saisi n’est pas la valeur de réalisation du bien confisqué vendu (la valeur d’un véhicule ou d’un immeuble grevé d’hypothèque se déprécie dans le temps). Enfin, les frais du stockage des biens dépendent de leur nature, ces biens pouvant être conservés dans l’enceinte du palais de justice ou auprès de prestataires privés (ex. frais de garde des véhicules). De même, il convient de prendre en compte le coût d’entretien et les frais de gestion des biens immobiliers entre le prononcé du jugement de confiscation et la vente effective du bien.

 

“On saisit par centaines de millions, on confisque par dizaines”

 

Evolution du dispositif

Le rapport “INVESTIR POUR MIEUX SAISIR, CONFISQUER POUR MIEUX SANCTIONNER” propose notamment de :

  1. décentraliser l’AGRASC en créant des agences régionales et centraliser l’ensemble des informations et outils afin de pouvoir agréger ces données et fournir des statistiques fiables. L’AGRASC dispose de l’application “base AGRASC” d’enregistrement et de traitement des biens confiés par les juridictions pénales. Contenant des données relatives aux affaires, aux biens et à leur gestion, ainsi qu’aux mouvements financiers impactant ces biens, cette base ne permet ni la production de statistiques, ni la mise à disposition d’outils de pilotage. En faisant de l’AGRASC la destinataire de toutes les décisions relatives aux saisies et confiscations, qu’il s’agisse des chiffres des services d’enquête et de ceux du ministère de la justice, la base AGRASC permettra d’obtenir des données fiables sur les avoirs criminels. Le rapport préconise par ailleurs de recruter des Assistants Spécialisés (AS) dédiés aux saisies et confiscations au sein des juridictions;
  2. généraliser l’enquête patrimoniale qui est encore perçue comme une charge supplémentaire par les enquêteurs en intégrant l’identification des avoirs criminels dans la liste des missions de l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) assortie d’une prime corrélée au taux d’enquêtes patrimoniales réalisées;
  3. Mettre à la disposition des enquêteurs les moyens techniques nécessaires à la réalisation des enquêtes patrimoniales tel que l’accès au fichier des comptes bancaires (FICOBA). S’agissant des militaires de la gendarmerie, sur les 70 000 enquêteurs de la DGGN, seuls 2 500 enquêteurs sont habilités à FICOBA;
  4. mettre en place une procédure permettant de différencier les saisies à valeur probatoire et les saisies à valeur confiscatoire. Un délai de 3 mois permettrait aux magistrats de statuer sur le sort des biens saisis, en décidant s’ils doivent être conservés pour leur valeur probatoire, vendus, attribués aux forces de l’ordre ou à des associations ou détruits;
  5. Instaurer une procédure d’enquête post-sententielle permettant aux enquêteurs d’identifier le patrimoine du condamné postérieurement à la décision des juridictions qui ne prononcent pas de peine de confiscation lorsque les saisies n’ont pas été opérées préalablement;
  6. Améliorer l’effectivité de l’indemnisation des parties civiles et de l’action récursoire de l’Etat. L’article 706-164 du CPP permet à l’AGRASC d’indemniser les parties civiles et offre à l’Etat une action récursoire contre la personne condamnée. Or,  l’Etat n’a jamais exercé d’action en recouvrement de ces sommes. En 2018, près de 8 M€ auraient ainsi pu être recouvrés par l’Etat. Cette somme a donc été versée par l’AGRASC à des parties civiles pour le compte de personnes condamnées, sans que celles-ci ne s’en voient jamais réclamer le remboursement par l’Etat. Indépendamment du manque à gagner pour l’Etat, l’effectivité de la sanction pénale n’a donc pas été assurée, le tribunal condamnant au paiement de dommages et intérêts qui ne sont jamais réclamés au condamné. C’est la raison pour laquelle le rapport préconise der rendre obligatoire l’information de l’existence de ce mécanisme, par une mention dans le jugement en cas de confiscation, un avis oral à l’audience correctionnelle et la remise d’un formulaire précisant les modalités d’exercice de ce droit à l’attention des parties civiles, d’allonger le délai d’exercice de ce droit à 6 mois et de rendre l’action récursoire de l’Etat obligatoire quels que soient les montants en jeu.

Toute personne qui, s’étant constituée partie civile, a bénéficié d’une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait d’une infraction pénale (…) peut obtenir de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par une décision définitive (…) Cette demande de paiement doit, à peine de forclusion, être adressée par lettre recommandée à l’agence dans un délai de deux mois (…) L’Etat est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre l’auteur de l’infraction dans le respect du rang des privilèges et sûretés de droit civil. Les dossiers susceptibles d’ouvrir droit à cette action récursoire de l’Etat sont instruits par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués puis communiqués au ministre chargé des finances qui en assure le recouvrement” (art. 706-164 CPP)

7. mettre en place des mécanismes de réaffectation sociale des biens confisqués au profit des associations et un dispositif innovant de restitution des biens mal acquis afin d’aider les populations qui ont le plus souffert des agissements délictueux. Actuellement, le produit des confiscations des avoirs criminels revient au budget de l’Etat. En Italie, des biens confisqués à la mafia, notamment des immeubles, des terrains ou encore des entreprises ont pu être attribués à des associations, coopératives ou entités publiques locales. Ils ont ensuite été utilisés pour créer des centres culturels, des bibliothèques, des établissements de soins pour toxicomanes, des lieux d’hébergement d’urgence ou encore des centres sociaux.

 

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