Le Monde du Droit consacre une série d’articles relatifs aux procédures extraterritoriales, faisant écho au Rapport Gauvain dont l’intitulé et l’objectif est de “rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale”. Ce rapport explique comment les États-Unis d’Amérique ont entraîné le monde dans l’ère du protectionnisme judiciaire utilisant le droit non comme instrument de régulation, mais comme une arme de destruction dans un contexte de guerre économique.
“Les entreprises françaises ne disposent pas aujourd’hui des outils juridiques efficaces pour se défendre contre les actions judiciaires extraterritoriales engagées à leur encontre, que ce soit par des concurrents ou par des autorités étrangères.”
Depuis 20 ans, le développement de lois à portée extraterritoriale permettent aux autorités américaines d’enquêter, de poursuivre et de condamner, sur divers fondements (corruption, blanchiment d’argent, sanctions internationales, etc.), les pratiques commerciales d’entreprises ou comportements d’individus.
“Le bilan des 20 dernières années est édifiant : plusieurs dizaines de milliards de dollars d’amendes ont été réclamées à des entreprises françaises, européennes, sud-américaines et asiatiques, au motif que leurs pratiques commerciales, leurs clients ou certains de leurs paiements ne respectaient pas le droit américain, alors même qu’aucune de ces pratiques n’avait de lien direct avec le territoire des États-Unis et/ou que ces entreprises se conformaient au droit de leur pays (s’agissant des sanctions internationales).”
Le rapport souligne cinq problèmes fondamentaux :
- Enquêtes, poursuites et condamnations contestables eu égard aux critères de compétence des autorités américaines violent la souveraineté des pays dont ces entreprises sont ressortissantes ;
- Sanctions disproportionnées menacent la pérennité des sociétés visées avec pour but premier de les fragiliser dans la compétition internationale ;
- Enquêtes conduites sous le contrôle des procureurs américains placés sous l’autorité directe du pouvoir exécutif, alors même que la procédure transactionnelle (utilisée dans la quasi-totalité des cas) échappe à tout contrôle du juge américain, avec une pression constante exercée afin d’obtenir le maximum d’éléments de l’entreprise et la dénonciation des personnes responsables ;
- Conventions d’entraide judiciaire et règles de coopération administrative systématiquement contournées ;
- Poursuites engagées et ciblées pour motif économique. Les grandes entreprises américaines sont épargnées et seules de grandes entreprises européennes et asiatiques, en concurrence directe avec des entreprises américaines, sont visées.
Le rapport constate trois faiblesses :
- Pas de protection de la confidentialité des avis juridiques en entreprise;
- Inefficacité de la loi du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite « loi de blocage », pour contraindre les autorités étrangères à respecter les traités d’entraide et les accords de coopération internationale pour obtenir des documents ou/et des informations sur des entreprises étrangères;
- Le Cloud Act de mars 2018 permet aux autorités judiciaires américaines d’obtenir des fournisseurs de stockage de données numériques, sur la base d’un simple « warrant » d’un juge américain, toutes les données non personnelles des personnes morales de toute nationalité quel que soit le lieu où ces données sont hébergées.
“Le Cloud Act organise ainsi un accès illimité des autorités judiciaires américaines aux données des personnes morales, rendant obsolètes et inutiles les Traités d’entraide judiciaire.”
Le rapport recommande trois mesures phares :
- Création d’un statut d’avocat en entreprise doté de la déontologie de l’avocat (le secret professionnel) serait très efficace d’un point de vue technique car elle utiliserait le droit américain pour s’en protéger. L’AFJE, demande depuis de nombreuses années le statut d’avocat en entreprise ainsi que la protection des avis juridiques. Le barreau de Paris serait même favorable aujourd’hui à une expérimentation de l’avocat en entreprise et autorise déjà les avocats à exercer en entreprise dans les pays qui l’autorisent tout en restant membre du barreau de Paris. Mais en matière pénale, étendre le secret professionnel de l’avocat au juriste d’entreprise risquerait de nuire à l’enquête et à l’efficacité des perquisitions en entreprises. La loi devra donc définir précisément ce qu’est un avis juridique et de quelle manière il doit être protégé;
- Modernisation de la loi de 1968 permettrait d’en augmenter l’efficacité : création d’un mécanisme obligatoire d’alerte en amont, mise en place d’un accompagnement des entreprises par le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Economiques (SISSE) et augmentation de la sanction prévue en cas de violation de la loi;
- Adoption d’une loi protégeant les entreprises françaises contre la transmission par les hébergeurs de leurs données numériques non personnelles aux autorités judiciaires étrangères afin de sanctionner les hébergeurs de données numériques qui transmettraient ce type de données en dehors des canaux de l’entraide administrative ou judiciaire.
https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/66658-moderniser-loi-blocage-guerre-economique.html
https://www.informatiquenews.fr/le-cloud-act-en-une-infographie-par-eds-outscale-64243