Il aura fallu 20 ans, une éternité dans le monde numérique, pour que la commission européenne se décide enfin à réviser les règles obsolètes avant même leur mise en application de la directive e-commerce de 2000 et les dérives prétoriennes rendant irresponsables au sens propre comme au sens figuré les plateformes dites systémiques utilisant comme leviers de croissance la contrefaçon, les contenus haineux, la désinformation, la violation des données personnelles, l’optimisation fiscale et les pratiques anti-concurrentielles. Le Règlement sur les services numériques (Digital Services Act ou DSA) tend à imposer de nouvelles obligations et responsabilités à tous les intermédiaires en ligne concernant le contenu qu’ils hébergent et va uniformiser la définition de ce qui constitue un contenu illégal. Le Règlement sur les marchés numériques (Digital Market Act ou DMA) vise à lutter contre les pratiques anti-concurrentielles en prévoyant des sanctions fortes, proportionnées, graduelles mais dissuasives.
Règlement sur les services numériques
Ce qui est troublant est que le projet de DSA ne devrait pas s’attaquer à la cause principale des dérives constatées depuis 20 ans, à savoir le principe de responsabilité limitée des intermédiaires et à leur catégorisation (intermédiaires techniques, infrastructures d’hébergement, moteurs de recherche, plateformes, etc.) par essence évolutive et sujet à des interprétations prétoriennes ayant conduit à l’impunité de fait des plateformes qui n’ont jusqu’à présent eu aucune raison juridique et économique de superviser, contrôler, modérer et supprimer les contenus illicites. Bien au contraire, tous ces contenus sont sources d’audience et de revenus pour ces plateformes dont le modèle économique est basé sur le financement publicitaire et l’exploitation massive des données personnelles.
Plutôt que de s’attaquer aux causes, le projet se limite aux conséquences :
- Notion de “diligence raisonnable” proche de celle d'”agir avec promptitude” expérimentée en France depuis 1999 avec l’affaire Estelle Hallyday-Altern avec une inefficacité déconcertante (rappelons qu’Altern était un simple hébergeur contrairement aux plateformes qui diffusent les contenus qu’elles hébergent);
- Uniformisation du mécanisme de notification et de retrait afin de mieux lutter contre la haine en ligne et la désinformation;
- Identification des partenaires commerciaux;
- Transparence de la politique de modération et des systèmes de recommandation algorithmique et de publicité;
- Sanctions pour les intermédiaires récidivistes pouvant s’élever jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial de l’année précédente. Quant on connaît le peu d’effet dissuasif des sanctions pécuniaires prononcées dans le cadre du RGPD pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial, on peut à nouveau s’interroger sur l’absence de responsabilité pénale des dirigeants qui est pourtant la seule sanction réellement dissuasive.
La définition des contenus illicites est laissée aux législateurs nationaux et européens, le DSA se limitant aux procédures. Si les pays membres de l’UE partagent des valeurs communes, on peut s’interroger sur la complexité que l’UE a pour communément définir ce qu’est une contrefaçon, un discours haineux, une désinformation, etc.
Règlement sur les marchés numériques
Le projet de DMA vise à encadrer les plateformes structurantes dominant un ou plusieurs marchés et à doter l’UE d’un nouvel outil d’enquête. Les plateformes structurantes peuvent être des intermédiaires (marketplaces, appstore, réseaux sociaux), des moteurs de recherche, des systèmes d’exploitation, des services cloud, etc.
La base légale du DMA serait le Marché intérieur (art.114 TFUE) et non le droit de la concurrence, sachant que des outils juridiques existent déjà pour lutter contre la concentration et les abus de position dominante. Mais encore faut-il avoir le courage politique de les appliquer.
Le choix de l’UE est donc d’adopter un nouvel arsenal juridique préventif alors que les règles de concurrence étaient conçues jusqu’à présent de manière curative.
Gageons que les députés européens prennent de mesures fortes pour lutter contre la colonisation du monde numérique.
Bruxelles s’attaque à la régulation des plateformes avec deux nouveaux textes
https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-services-act-package