Le secret professionnel de l’avocat est-il limité à l’exercice des droits de la défense ?

La jurisprudence française a tendance à limiter le champs du secret professionnel de l’avocat à la défense des personnes ayant commis ou pensant avoir commis une infraction (exercice des droits de la défense), mais non lorsque des conseils sont demandés à un avocat avant toute commission d’une infraction (activité de conseil). Par un arrêt du 26 juillet 2024, la CJUE a rappelé le principe de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, y compris pour les activités de conseil.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. Cette protection renforcée se justifie par la considération que les avocats assurent une mission fondamentale dans une société démocratique, reposant sur une relation de confiance avec leurs clients, auxquels est ainsi garanti le droit à un procès équitable, comprenant le droit de tout accusé de ne pas s’auto-incriminer.

Si cette protection est renforcée, elle s’applique “lorsqu’une personne a commis ou pense avoir commis une infraction, mais non lorsque des conseils sont demandés à un avocat avant toute commission d’une infraction, et qu’il s’agit donc de conseils qui auraient pu être sollicités auprès de toutes les autres personnes exerçant des missions de conseil juridique, comme par exemple des notaires. Dans sa décision du 1er mars 2024, le Conseil d’État a ainsi rejeté la requête des avocats contre une circulaire du 28 février 2022 présentant les dispositions de loi Confiance renforçant les droits de la défense. Saisi par l’Association des avocats pénalistes, l’ordre des avocats au barreau de Paris et l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine soutenus par la Conférence des bâtonniers et le CNB, le CE a rejeté leur demande d’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire. Le Conseil d’État a confirmé que “le législateur a entendu élargir le champ du secret professionnel à une partie seulement des activités de conseil des avocats, et non à l’ensemble d’entre elles (…) Si les documents résultant d’une activité de conseil d’un avocat après la commission d’une infraction par son client doivent être regardés, alors même que celui-ci ne fait l’objet d’aucune poursuite pénale ou mise en cause au moment où cette activité de conseil intervient, comme participant de la préparation d’une défense à venir et, à ce titre, comme relevant de l’exercice des droits de la défense, il en va autrement des documents résultant d’une activité de conseil d’un avocat avant toute commission d’une infraction par son client, lesquels, dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense au sens du second alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, ne sont pas couverts par le secret professionnel”.

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Dans un arrêt du 24 septembre 2024, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel dans une affaire où des opérations de visite et saisie, autorisées par le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, avaient été pratiquées dans les locaux d’une société d’avocats :

– si les documents et les correspondances échangés entre le client et son avocat sont couverts par le secret professionnel, il demeure qu’ils peuvent notamment être saisis dans le cadre des opérations de visite prévues par l’article L. 450-4 du code de commerce dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense ;
– les dispositions des articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale ne sont pas applicables aux opérations de visite et de saisie autorisées en application de l’article L. 450-4 du code de commerce, sauf, s’agissant du premier de ces articles, si ladite visite a lieu dans l’un des lieux qu’il mentionne, et ce, en application du dernier alinéa dudit article.
En l’espèce, dans le cadre d’opérations de visite sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, il appartenait à la société d’avocats d’identifier au sein des fichiers saisis ceux relevant de l’exercice des droits de la défense qui ne peuvent pas être saisis. La société d’avocats qui aurait du identifier au sein des fichiers saisis ceux relevant de l’exercice des droits de la défense, n’a pas mis en mesure le juge d’exercer son contrôle.

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Des avocats craignaient que ces décisions mettent fin au secret professionnel en matière de conseil. Dans une affaire dans laquelle un cabinet d’avocat luxembourgeois s’était opposé à la remise de consultations et correspondances avocat-client aux autorités fiscales espagnoles par le biais de la coopération internationale, la CJUE a rappelé le 26 septembre 2024 le principe de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, y compris s’agissant de l’activité de conseil, remettant ainsi en cause la position de la cour de cassation :

“L’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés entre dans le champ de la protection renforcée des échanges entre un avocat et son client, garantie par cet article, si bien qu’une décision enjoignant à un avocat de fournir à l’administration de l’État membre (…) l’ensemble de la documentation et des informations relatives à ses relations avec son client, afférentes à une telle consultation, constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti par ledit article (…) L’article 7 et l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une injonction fondée sur une réglementation nationale en vertu de laquelle le conseil et la représentation par un avocat dans le domaine fiscal ne bénéficient pas, sauf en cas de risque de poursuites pénales pour le client, de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client, garantie par cet article 7″

 

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La position communautaire rejoint donc celle du CNB qui a codifié l’étendue du secret professionnel dans le Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN) comme suit :

 

“Le secret professionnel couvre en toute matière, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu’en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique …) :
• les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ;
• les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères, à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle ;
• les notes d’entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et confidences reçues par l’avocat dans l’exercice de la profession ;
(…)” (Art. 2.2 du RIN)