Stream manipulation

Le 2 octobre 2025, le Tribunal Judiciaire de Paris a rendu une décision importante dans l’affaire opposant le Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP) à l’hébergeur OVH et à son client, M. K.O., concernant la lutte contre deux sites Internet de stream manipulation, l’augmentation artificielle des écoutes faussant le système de répartition des redevances des plateformes de streaming basée sur le market centric payment system (Spotify, Soundcloud, YouTube, etc.) diminuant ainsi mécaniquement la rémunération des artistes et producteurs qui n’ont pas recours à la Stream manipulation.

La décision ordonne à OVH et à M. K.O. de cesser toute fourniture de service à ces deux sites pour une durée de 18 mois.  Cependant, le tribunal a rejeté la demande du SNEP visant à imposer aux défendeurs une obligation de surveillance pour bloquer tout futur site au contenu similaire. Cette mesure a été jugée contraire au Règlement sur les services numériques (DSA), qui interdit d’imposer aux intermédiaires techniques une obligation générale de surveillance.
Le SNEP avait d’abord tenté de résoudre le litige par une mise en demeure demandant à OVH le retrait des sites. OVH avait répondu que seul son client, M. K.O., pouvait techniquement couper l’accès aux contenus. Le SNEP a alors assigné OVH et M. K.O. en justice. M. K.O., résidant en Israël, n’a pas comparu et a été jugé par défaut.
Partie
Arguments
SNEP (Demandeur)
Les sites vendent des écoutes artificielles, manipulant les classements et les revenus sur les plateformes de streaming. Ce mécanisme cause un préjudice direct aux artistes et producteurs membres du SNEP en diminuant leur part des redevances, calculée au prorata des écoutes totales. Les agissements constituent une escroquerie, une concurrence déloyale et des pratiques commerciales trompeuses. OVH, en tant qu’hébergeur notifié du caractère manifestement illicite des contenus, a l’obligation de collaborer pour y mettre fin.
OVH (Défendeur)
Les sites n’étaient plus hébergés sur ses serveurs au moment de l’assignation.
Ne peut être soumise à une obligation générale de surveillance des contenus, conformément à l’article 8 du Digital Services Act (DSA).
Le caractère illicite des services n’est pas démontré.
Une injonction générale contre des sites futurs au contenu “identique” serait trop large, inapplicable et illégale.
Le tribunal a estimé que le SNEP a fourni des preuves suffisantes pour établir l’existence d’un dommage direct et certain. Un huissier de justice a procédé à des “achats tests” de 10 000 écoutes sur les sites pour des titres créés spécifiquement pour la cause. Suite à ces achats, le nombre d’écoutes des titres a augmenté de plus de 10 000 écoutes sur Spotify et Soundcloud, et de plusieurs milliers de vues sur YouTube. En augmentant artificiellement le nombre d’écoutes d’un titre, on augmente sa part dans le total des écoutes de la plateforme, ce qui entraîne nécessairement une baisse de la redevance versée aux artistes ne procédant pas à l’achat de fausses écoutes ou vues.
La demande du SNEP d’ordonner le blocage de tout futur site ayant un contenu identique a été rejetée. Le tribunal a statué qu’une telle mesure ferait peser une obligation générale de surveillance sur les défendeurs, ce qui contrevient au dispositions de l’article 8 du DSA.
Se référant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêts Scarlet Extended et UPC Telekable Wien), le juge a rappelé la nécessité de trouver un “juste équilibre” entre :
  • La protection du droit de propriété intellectuelle;
  • La liberté d’entreprise des intermédiaires techniques comme OVH;
  • Les droits fondamentaux des utilisateurs (protection des données, liberté d’information).
Le tribunal en déduit que si un contrôle systématique est proscrit, des mesures ciblées et proportionnées pour faire cesser un dommage avéré sont parfaitement légales. Il enjoint donc OVH et M. K.O. de mettre en œuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès aux sites litigieux.
Le tribunal  ordonne à la société OVH et à M. K.O. de s’abstenir de fournir pour une durée de dix-huit mois leurs services aux sites sans délai, et au plus tard quinze jours après la signification de la présente décision.