Limitation du secret professionnel de l’avocat à l’exercice des droits de la défense

La Chambre criminelle de la Cour de cassation maintient depuis des années son interprétation restrictive du secret professionnel limité aux seules activités liées à l’exercice des droits de la défense, excluant ainsi l’activité de conseil. Me VOGEL et de nombreux avocats considèrent que cette position entre en contradiction avec de récents arrêts de principe de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

 

La Chambre criminelle de la Cour de cassation adopte de longue date (Cass. crim. 12 mars 1992) une approche restrictive de la confidentialité avocat-client, qu’elle cantonne strictement à l’exercice des droits de la défense. Ainsi, seuls les échanges intervenant après l’ouverture d’une procédure et visant à l’exercice des droits de la défense sont protégés et insaisissables. Toute l’activité de conseil juridique en amont est exclue de cette protection. Cette interprétation restrictive a été réaffirmée dans plusieurs décisions récentes relatives aux opérations de visite et saisie en droit de la concurrence (Cass. crim. 24 septembre 2024, 11 mars 2025,  3 juin 2025).

Cette jurisprudence entre en contradiction avec celle des autres chambres de la Cour de cassation qui rappellent que l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 traitant du secret professionnel de l’avocat ne comporte aucune exception et couvre les consultations et correspondances que ce soit dans le domaine du conseil ou de la défense.

Par ailleurs, la grande majorité de la doctrine juge cette position injustifiée au regard du droit européen, créant ainsi un risque de condamnation de la France. Les arrêts de la CJUE du 26 septembre 2024 et de la CEDH du 6 juin 2024 affirment sans équivoque que la confidentialité protège l’ensemble des communications avocat-client, y compris le conseil, en vertu de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Bien que la confidentialité ne soit pas un droit absolu, toute limitation doit respecter quatre conditions cumulatives et rigoureuses, ce qui n’est pas le cas de la jurisprudence de la Chambre criminelle :

  • Prévue par la loi : aucune loi française, et en particulier l’article 66-5 de la loi de 1971, ne limite la protection aux seuls droits de la défense;
  • Respectant le contenu essentiel : En droit de la concurrence, l’activité de conseil et de conformité constitue l’essentiel de la pratique des avocats. L’exclure de la protection revient à vider le droit de sa substance;
  • Proportionnelle : La suppression totale de la confidentialité pour le conseil est manifestement disproportionnée;
  • Nécessaire: Les autorités disposent de pouvoirs d’enquête considérables rendant la violation du secret du conseil non nécessaire à la détection des infractions.

L’absence de protection du conseil est par ailleurs contre-productive. Un avocat qui, dans un avis, identifie un risque ou une infraction et conseille à son client d’y mettre fin, crée une preuve qui pourra être saisie et utilisée contre l’entreprise. Cela décourage les entreprises de solliciter des conseils juridiques préventifs et entrave l’efficacité des politiques de conformité qui visent justement à prévenir les infractions.

À défaut d’un revirement de la Chambre criminelle, la saisine de la CJUE via une question préjudicielle apparaît comme la seule voie pour contraindre la France à modifier son droit positif pour se mettre en conformité avec la règlementation européenne.

 

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