Le Conseil supérieur de la magistrature vient de publier la Charte de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire établissant les principes éthiques fondamentaux qui doivent guider le comportement des magistrats pour garantir la confiance du public. Parallèlement, la Charte et guide de bonnes pratiques des écritures, le fruit d’une collaboration entre le Conseil d’État, le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers de France, l’Ordre des avocats au barreau de Paris et l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, vise à optimiser l’efficacité, la clarté et la célérité des procédures contentieuses administratives par des recommandations sur la rédaction des mémoires et la gestion des pièces. Bien que s’adressant à des acteurs différents (avocats et magistrats) et à des ordres de juridiction distincts (administratif et judiciaire), les deux chartes convergent vers un but commun : renforcer la qualité, la transparence et l’efficacité de la justice dans l’intérêt des justiciables.
Optimisation de la procédure contentieuse administrative
La Charte de bonnes pratiques des écritures a deux objectifs principaux :
- Assurer la parfaite clarté des débats : Garantir qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur la teneur des demandes et de l’argumentation soumises au juge, afin de renforcer la qualité du débat contradictoire;
- Garantir l’efficacité et la célérité de la procédure : Fluidifier les échanges contradictoires pour accélérer le traitement des litiges, notamment en rationalisant le volume des productions à l’ère de la dématérialisation.
Le guide associé à la charte fournit des recommandations détaillées tout en respectant la liberté de stratégie contentieuse de l’avocat.
Requête initiale
| Section de la requête |
Recommandations |
| Présentation formelle | – Numéroter les pages
– Utiliser une typographie et une mise en page lisibles sur écran – Intégrer un plan apparent, un glossaire ou des éléments visuels (tableaux, schémas) si la complexité le justifie |
| Page de garde | – Indiquer clairement l’identification des parties (y compris l’adresse électronique), l’objet du recours (décision attaquée, personne mise en cause), et les informations utiles (demande d’aide juridictionnelle, lien avec d’autres procédures)
– Utiliser l’intitulé “requête sommaire” uniquement si un mémoire complémentaire est explicitement annoncé |
| Exposé des faits | Présenter un rappel synthétique, chronologique et objectif des faits et de la procédure, distinct de l’argumentation juridique |
| Conclusions | – Récapituler l’ensemble des conclusions dans un développement distinct à la fin de la requête
– Formuler les conclusions de manière précise, en utilisant les termes que l’on souhaite voir repris dans le jugement (annulation partielle “en tant que”, ventilation des montants demandés, précision de l’injonction souhaitée) – Éviter les formules redondantes (“dire et juger”, “constater”) |
| Moyens (arguments juridiques) | – Présenter les moyens selon un ordre logique (questions préalables, puis regroupement par cause juridique : légalité externe/interne)
– Débuter chaque moyen par un titre qualifiant juridiquement l’argument – Suivre le syllogisme juridique (majeure, mineure, conclusion) – Limiter et hiérarchiser les citations de jurisprudence, en privilégiant les références aux extraits longs – Mentionner le numéro de la pièce produite à l’appui du moyen |
Mémoires ultérieurs et procédure d’appel
- Mémoires ultérieurs : Pour éviter les répétitions, il est possible de ne mentionner que les éléments nouveaux, en signalant les ajouts (par un trait en marge par exemple). L’abandon de certains moyens doit être explicite pour clarifier le débat. Le mémoire récapitulatif, lorsqu’il est demandé par le juge, doit être “autosuffisant”, car les moyens non repris sont réputés abandonnés.
- Note en délibéré : Elle doit être produite rapidement (idéalement sous 48h) et se limiter aux ultimes précisions ou aux éléments nouveaux qui n’ont pu être soulevés avant la clôture de l’instruction.
- Appel : La requête d’appel doit critiquer le jugement de première instance et ne peut se borner à reproduire le mémoire initial. Les moyens doivent être présentés dans un ordre logique : questions de recevabilité de l’appel, régularité du jugement, questions préalables en première instance, et enfin le fond du litige. Les moyens de cassation (“erreur de droit”, “dénaturation”) sont inopérants devant le juge d’appel.
Gestion des pièces justificatives
- Adéquation : Ne produire que les pièces utiles à la démonstration et mentionnées dans l’argumentation. Pour les jurisprudences accessibles en ligne, la référence suffit.
- Organisation : Respecter un ordre logique (chronologique ou suivant le raisonnement). Adopter une numérotation continue d’un mémoire à l’autre (ex: pièces 1-14 pour la requête, à partir de 15 pour le mémoire en réplique).
- Caractéristiques techniques : Les pièces doivent respecter les formats et tailles définis pour l’application Télérecours. L’intitulé des fichiers doit suivre le format “001 nom de la pièce”, “002 nom de la pièce”, etc.
Déontologie du magistrat
Indépendance et impartialité
- Indépendance : Le magistrat exerce ses fonctions libre de toute pression ou influence, en se basant uniquement sur le droit et les faits débattus. Il préserve son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs, de sa hiérarchie, et même dans sa vie privée.
- Impartialité subjective et objective : Le magistrat doit se détacher de ses préjugés personnels (subjective) et éviter toute situation qui pourrait faire naître un doute légitime sur son impartialité aux yeux des tiers (objective).
- Conflits d’intérêts et déport : Le magistrat doit prévenir toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés ou publics. La déclaration d’intérêts est un outil central à cette fin. En cas de doute légitime sur son impartialité (lien avec une partie, son conseil, un expert), il doit se déporter (demander à être dessaisi).
Humanité, respect et attention portée à autrui
- Comportement : Le magistrat adopte une attitude respectueuse, à l’écoute et délicate envers les justiciables, ses collègues, le greffe et les auxiliaires de justice.
- À l’audience : La ponctualité, la sérénité des débats, l’écoute active et la neutralité (absence de manifestation de sympathie ou d’antipathie) sont essentielles.
- Nouvelles technologies : L’usage de l’IA doit rester un outil d’aide à la décision sous le contrôle strict du magistrat, qui ne peut déléguer son office de juger.
Dignité
- Portée : Ce devoir s’applique dans la vie professionnelle comme dans la vie privée. Il impose courtoisie, prudence et mesure en toutes circonstances.
- Activités extraprofessionnelles : Qu’il s’agisse d’activités artistiques, sportives ou médiatiques (ex: participation à un jeu télévisé), le magistrat doit évaluer leur compatibilité avec la dignité de ses fonctions.
Intégrité et probité
- Définition : La probité est une exigence d’honnêteté générale. L’intégrité est une probité renforcée, interdisant tout comportement indélicat visant à obtenir un traitement de faveur pour soi-même ou pour un tiers.
- Applications pratiques : Le magistrat n’accepte aucun cadeau ou avantage. Il n’utilise pas sa qualité pour obtenir un traitement privilégié dans sa vie privée ou pour intervenir dans une procédure dont il n’est pas saisi.
Loyauté
- Envers la loi : Le magistrat applique loyalement la règle de droit, sans la dénaturer ou la contourner au nom de ses convictions personnelles.
- Envers l’institution et les collègues : Les relations professionnelles doivent être respectueuses. Le magistrat informe sa hiérarchie des situations susceptibles de créer un conflit d’intérêts ou de nuire au service. Les chefs de juridiction doivent faire preuve de transparence et d’équité dans la gestion des services.
Conscience et engagement professionnels
- Compétence : Le magistrat a une obligation de formation continue pour actualiser ses connaissances.
- Diligence : Il traite les affaires qui lui sont confiées avec rigueur et dans un délai raisonnable, en conciliant la gestion des flux et la qualité du service rendu. Il alerte sa hiérarchie en cas de difficultés structurelles.
- Exemplarité des chefs de juridiction : Ils doivent assurer une répartition équitable des tâches, accompagner les magistrats dans leur carrière et garantir un management humain.
Réserve et expression publique
- Principe de réserve : Le magistrat doit faire preuve de mesure dans son expression publique afin de ne pas compromettre la perception de son impartialité et de celle de la justice.
- Usage des réseaux sociaux : Une vigilance accrue est requise. Le prétendu anonymat ne dispense pas des devoirs de l’état de magistrat. Il est recommandé de ne tenir que des propos qu’il pourrait assumer publiquement et de s’abstenir de toute polémique.
- Expression syndicale : Le devoir de réserve est atténué dans le cadre de l’exercice du droit syndical, qui autorise un ton vigoureux, à condition de ne pas tenir de propos dénigrants ou injurieux.