Taxe GAFA ou de la poudre aux yeux

Le gouvernement a présenté mercredi 6 mars 2019 son projet de loi relatif à la taxe sur le numérique. Les grandes entreprises de la publicité ciblée, de la vente de données ou percevant des commissions au travers de leurs plateformes seront désormais taxées en France à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaires. Ainsi, l’optimisation fiscale et le forum shopping qui permettent aux grandes entreprises de bénéficier d’un avantage concurrentiel et d’assoir leur suprématie tout en appauvrissant les peuples en éludant l’impôt sur les territoires où les bénéfices sont pourtant réalisés, seraient compensés par une redevance de 3% du CA.

Le taux normal de l’IS est de 33,33% sur les bénéfices imposables et que l’optimisation fiscale réduit considérablement l’assiette de cet impôt. En outre, cette taxe de 3% serait déductible du montant de l’assiette de l’IS. Enfin, nul ne doute que ces grandes entreprises continueront de minorer leur CA déclaré en France pour optimiser le montant de la taxe. En 2012, Google déclarait par exemple moins de 200 millions d’euros de CA, quand son activité publicitaire en France dépassait en réalité le milliard d’euros. Ces entreprises conserveront par conséquent un avantage fiscal et donc concurrentiel sur les autres entreprises, évalué à 14 points sur le taux d’imposition. La taxe GAFA, si elle a au moins le mérite d’exister, n’est donc que de la poudre aux yeux.

En effet, la taxe GAFA rétroactive au 1er janvier 2019 devrait générer 500 millions d’euros perçus auprès des grandes entreprises qui génèrent le plus de valeur à travers la publicité ciblée sur Internet, la vente de données à des fins publicitaires, les plateformes d’intermédiation entre internautes et réalisent plus de 750 millions d’euros de revenus sur le numérique dans le monde et 25 millions en France. Ainsi, ne seraient pas concernées les ventes directes des sites d’e-commerce comme Amazon mais seulement les places de marché. La question est donc de comprendre que représentent en valeur relative 500 millions d’euros par rapport aux recettes effectivement générées par ces grandes entreprises sur le territoire français.

Les GAFA feignent donc de contester cette dérisoire mesure en soulevant le risque d’éventuelles répercussions sur les consommateurs, comme si la position de duopole sur le marché de la publicité de Google et Facebook était favorable aux annonceurs et consommateurs.

Sur le plan national, l’initiative française suit celles du Royaume-Uni, de l’Espagne et de l’Autriche. Le Royaume-Uni n’a pas hésité à nommer cette mesure Diverted Profits Tax (taxe sur les profits détournés) pour dénoncer les montages artificiels visant à détourner les profits de ces entreprises à l’étranger afin d’échapper à l’impôt au Royaume-Uni.

En UE, 23 Etats parmi les 27 soutiendraient une telle taxation mais l’unanimité étant requise en matière de fiscalité, l’Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande bloqueraient l’adoption d’une règlementation européenne.

Au niveau international, d’autres pays comme l’Australie ont aussi adopté des taxes sur le numérique. Selon l’Australian Competition and Consumer Commission (ACCC), sur 28 millions de résidents australiens, environ 19 millions accèdent à Google, 17 millions à Facebook, 17 millions regardent YouTube, propriété de Google, et 11 millions Instagram, propriété de Facebook. En réponse, Google estime qu’il n’est pas nécessaire que l’ACCC exerce une surveillance réglementaire supplémentaire sur le favoritisme et le classement des informations via des algorithmes, et que Google ne dispose d’aucun avantage anticoncurrentiel spécifique…

Le paradoxe est que les états de l’UE eux-mêmes sont complices des grandes entreprises. On se souvient qu’en 2014 l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) avait dénoncé la stratégie fiscale du Luxembourg (LuxLeaks) en révélant que le taux d’imposition effectif était parfois réduit à moins de 1 % (au lieu de 29 %). 340 entreprises dont Amazon, Apple, Verizon mais aussi Pepsi ou Ikea auraient profité de ces accords entre 2002 et 2010. Les décisions anticipatives en matière fiscale (ou “tax rulings”) sont des lettres d’intention émises par les autorités fiscales qui fournissent à une société déterminée des explications claires sur la manière dont son impôt sera calculé. Ainsi, le Luxembourg a validé le fait qu’Amazon paie une redevance fiscalement déductible à une société en commandite simple qui est établie au Luxembourg sans y être assujettie à l’impôt sur les sociétés. Par conséquent, la plupart des bénéfices européens d’Amazon sont enregistrés au Luxembourg, mais n’y sont pas imposés. De même, Apple, Starbucks et Fiat Finance and Trade ont été accusées de manœuvres fiscales illégales respectivement en collaboration avec l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg. Or, ce qui constitue une aide d’État est l’octroi d’avantages fiscaux sélectifs, aide prohibée incompatible avec le marché unique qui octroie à ces entreprises un avantage injuste qui fausse la concurrence. En effet, l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que les aides d’État qui affectent les échanges entre États membres et menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises sont en principe incompatibles avec le marché unique de l’UE.

II existe pourtant des règles anti-trust pouvant aller jusqu’au démentiellement pour lutter contre la concentration des contenus et des données au sein d’un nombre réduit d’acteurs, a fortiori quand ces acteurs menacent par leurs pratiques fiscales et commerciales la souveraineté numérique de l’UE.

https://www.zdnet.fr/actualites/taxation-des-geants-du-numerique-un-premier-pas-mais-le-combat-continue-39881597.htm

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