Le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) prévoient de limiter la domination économique des grandes plateformes et la diffusion en ligne de contenus et produits illicites. Sans surprise, Amazon, Apple et Microsoft contestent leur rôle de Very Large Online Platforms (VLOP) et de gatekeepers pour ne pas se soumettre aux nouvelles règles adoptées trop tardivement par l’UE pour lutter contre le Digital Far West qu’elle a laissé se développer depuis 25 ans.
Le règlement sur les marchés numériques (DMA)
S’agissant du règlement sur les marchés numériques (DMA) visant à mieux encadrer les activités économiques des plus grandes plateformes rendant les entreprises et les consommateurs dépendants de leurs services et empêchant la concurrence, toute plateforme réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 7,5 milliards € au sein de l’UE, présentant une valorisation boursière supérieure à 75 milliards € ou comptant plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels actifs sont qualifiables de gatekeepers et soumis au nouveau régime. Microsoft estime que Bing ne doit pas être soumis aux mêmes règles que son concurrent Google Search tandis qu’Apple déclare qu’iMessage ne dépasse pas le seuil d’utilisateurs requis pour se voir appliquer les règles spécifiques aux contrôleurs d’accès :
– les contrôleurs d’accès n’ont plus le droit de favoriser leurs propres services et produits par rapport à ceux des entreprises qui les utilisent, ou d’exploiter les données de ces dernières pour les concurrencer. Ils ne peuvent pas imposer les logiciels les plus importants (navigateurs, moteurs de recherche, etc.) par défaut à l’installation de leur système d’exploitation;
– Le règlement garantit la possibilité pour une entreprise de promouvoir son offre hors d’une plateforme à laquelle elle est liée, ainsi que de conclure des contrats avec ses clients ou proposer ses propres services aux consommateurs indépendamment de cette dernière;
– Afin de faire la promotion de ses produits et services concurrentiels, une entreprise, et notamment un vendeur de biens en ligne, peut demander l’accès aux données générées par ses activités (performance marketing, etc.). Elle peut également obtenir les informations liées aux annonces publicitaires qu’elle finance sur une plateforme;
– Les principaux services de messagerie (Whatsapp, Facebook Messenger) doivent être interopérables avec leurs concurrents plus modestes. Un utilisateur pourra ainsi envoyer des messages, des fichiers ou passer des appels vidéo depuis une application de messagerie vers une autre;
– Les contrôleurs d’accès devront informer la Commission des acquisitions et fusions qu’ils réalisent;
– Si elle estime qu’un contrôleur d’accès ne respecte pas ses obligations prévues par le DMA, la Commission Européenne (CE) peut lui indiquer des mesures concrètes à mettre en œuvre. Si celui-ci persiste, il peut se voir infliger des amendes allant jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires mondial total et, en cas de récidive, 20 % du CA.
En cas de non-respect systématique du DMA (règles enfreintes au moins trois fois en huit ans), la CE peut ouvrir une enquête de marché et imposer des mesures telles que l’interdiction d’acquérir d’autres entreprises pendant une période donnée.
La CE vient de publier la liste des plateformes qui doivent se conformer à la nouvelle réglementation favorisant l’ouverture des marchés numériques et s’est pourtant déclarée convaincue par les lobbyistes de Microsoft et d’Apple pour exclure iMessage et Bing de la liste.
Pendant ce temps là, aux Etats -Unis, le procès historique de Google Search s’ouvrira le 12/09/2023 portant sur des accusations de 2020 sur des actions anticoncurrentielles de Google qui ont protégé son monopole sur les moteurs de recherche et exclu ses concurrents, privant les consommateurs des avantages des choix concurrentiels, empêchant l’innovation et sapant les nouveaux entrants ou les expansions. Il est notamment reproché à Google d’avoir versé illégalement des milliards de dollars chaque année à des fabricants de smartphones comme Apple, LG, Motorola et Samsung, à des opérateurs comme Verizon et à des navigateurs comme Mozilla pour être le moteur de recherche par défaut de leurs clients.
Le règlement sur les services numériques (DSA)
Concernant règlement sur les services numériques (DSA) visant à lutter contre les contenus haineux, pédopornographiques, terroristes, etc. et produits illicites contrefaits ou dangereux, Amazon conteste la qualification de VLOP pour ne pas se soumettre aux règles plus strictes sur les contenus et produits en lignes, au partage de données avec les autorités et aux audits externes et indépendants :
– Si le DSA ne remet pas en cause la responsabilité limitée des plateformes vis-à-vis des contenus et produits illicites qu’elles hébergent (notion d’hébergement en lieu et place de celle de distributeur qui est une hérésie en terme de responsabilité héritée de la Directive e-commerce de 2000 obsolète avant même son entrée en vigueur), celles-ci doivent proposer un outil permettant aux utilisateurs de les signaler. Une fois ce signalement effectué, elles doivent alors retirer ces contenus et produits ou en bloquer rapidement l’accès;
– Le DSA interdit de cibler des personnes avec des publicités en ligne basées sur leur religion, leurs préférences sexuelles, des informations sur leur santé ou leurs convictions politiques. La publicité ciblée est également interdite vis-à-vis des mineurs. La publicité ciblée et la politique de modération des plateformes sont par ailleurs soumises à des obligations de transparence. Les plateformes doivent expliquer le fonctionnement de leurs systèmes de recommandation qui renforcent la visibilité de certains contenus pour un utilisateur en fonction de ses intérêts personnels. Les VLOG ont également l’obligation de proposer aux utilisateurs un système de recommandation alternatif non fondé sur leur profilage;
– Les pièges à utilisateurs (“dark patterns”) qui conduisent notamment les internautes à effectuer des actions non souhaitées sur un site au bénéfice de ce dernier sont interdits;
– Les VLOG sont tenus d’évaluer et de prendre des mesures pour atténuer les risques qui découlent de l’utilisation de leurs services : diffusion de contenus illicites, effets négatifs sur la vie privée et familiale, atteintes à la liberté d’expression, etc. Ils doivent réaliser chaque année cette analyse de réduction des risques sous le contrôle de la CE. Le Centre européen pour la transparence des algorithmes (ECAT) inauguré le 18/04/2023 doit assister la CE dans cette expertise technique;
– Les places de marché en ligne (Marketplace) qui mettent en relation vendeurs et consommateurs (Amazon, Airbnb, etc.) doivent afficher un certain nombre d’informations relatives aux produits et services qu’elles vendent, et détenir des informations permettant de tracer les vendeurs de biens et services illicites;
– Le DSA impose à toutes les entreprises fournissant des services en ligne aux Européens de désigner un représentant légal dans au moins un pays de l’UE. Celui-ci doit obéir à toute demande de retrait de contenu ou de produit dangereux de la part de l’un des 27 Etats membres. Un coordinateur des services numériques au sein de chaque Etat peut enquêter, saisir la justice s’il constate des irrégularités et même sanctionner directement une entreprise dans certaines situations. Les 27 coordinateurs coopèreront au sein d’un Comité habilité à mener des enquêtes conjointes dans plusieurs Etats. Ils pourront également recommander à la CE d’activer un mécanisme de crise lors d’événements particuliers pour lutter contre la désinformation en ligne;
– Tandis que les Etats membres doivent eux-mêmes surveiller les petites plateformes, la CE dispose d’un pouvoir exclusif de supervision des très grandes plateformes en ligne et des très grands moteurs de recherche. Une nouvelle responsabilité financée par les plateformes elles-mêmes, en fonction de la taille de leur service et à hauteur de 0,05 % maximum de leur revenu net annuel mondial.
– En cas d’infraction aux règles de bonne conduite du DSA qu’auraient du adopter ces plateformes prônant l’autorégulation depuis leur création, l’amende maximale pourrait aller de 6 % du chiffre d’affaires mondial annuel jusqu’à l’interdiction d’opérer dans l’UE.
Rappelons par ailleurs que tandis que tous les commerces de détail faisant vivre nos villes, nos campagnes et l’état via les emplois et revenus fiscaux qu’ils génèrent sont tous en difficulté en Europe comme aux US, les revenus d’Amazon ont explosé grâce au COVID depuis 2020 et de 9,1 % en 2022 pour atteindre 513 milliards de dollars, sans qu’Amazon ne reverse une partie de ses revenus en payant ses impôts en Europe de manière juste et équitable.
Ainsi, pour les GAFAM, ce qui est illégal hors ligne ne doit pas être également illégal en ligne.
https://www.zdnet.fr/actualites/dma-surprise-chez-les-six-geants-du-numerique-concernes-39961154.htm