Le statut d’hébergeur protège encore les contrefacteurs

Par un jugement du 28 juin 2019, le TGI de Paris a estimé que la plateforme d’e-commerce Cdiscount n’intervenant pas de manière active dans le contenu des annonces publiées bénéficiait de la responsabilité limitée d’hébergeur prévue à l’article 6-1 de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004 (LCEN). Comment les juges peuvent-ils encore confondre hébergeur et distributeur ? Qui choisit ses fournisseurs, présente les produits au consommateur, le facture et profite de la vente de produits contrefaisant à des prix nécessairement inférieurs au détriment des marques et de ses concurrents ? Pourquoi le commerçant de proximité serait-t’il plus responsable lorsqu’il distribue des produits contrefaisant du fait d’un fournisseur indélicat qu’un e-commerçant ?

La société Jansport Apparel Corp (JAC), titulaire de la marque Eastpak, a constaté que des fournisseurs vendaient sur Cdiscount.com des sacs contrefaits en provenance de Chine. Face à l’impossibilité d’entrer en contact avec les vendeurs de la marketplace, elle avait envoyé des lettres de mise en demeure à Cdiscount qui a immédiatement retiré les annonces litigieuses, avant de l’assigner en contrefaçon et en concurrence déloyale. JAC avait, postérieurement à l’introduction de l’instance, fait réaliser de nouveaux constats de vente de produits contrefaisant mais n’avait pas respecté le formalisme imposé par la LCEN.

JAC faisait valoir que:

  • Cdiscount joue un rôle actif dans la vente des produits figurant sur sa « marketplace » et ne peut donc bénéficier du régime juridique applicable aux hébergeurs de contenus revendiqué par Cdiscount. Cdiscount intervient de manière active sur les annonces, la communication, la promotion, le stockage et la distribution des produits vendus sur sa « marketplace » par les vendeurs tiers:
  1. mise à disposition d’un moteur de recherche des produits grâce à des mots-clé pertinents,
  2. possibilité pour les vendeurs de disposer d’un espace personnalisé (boutique en ligne) permettant de présenter l’ensemble des produits vendus ainsi que d’outils de gestion et de promotion sur mesure (« Pole Position Program » et « C Logistique »),
  3. sélection de certains vendeurs qualifiés de « Vendeur pro sélectionné par Cdiscount »,
  4. affichage de nouveaux produits pour les consommateurs désireux d’acquérir un produit épuisé,
  5. mise en œuvre d’un système de notation des vendeurs représenté par des étoiles ou une couronne de laurier,
  6. gestion de la transaction financière et la perception d’une commission sur le prix de vente des produits.

 

  • Cdiscount a commis des actes de contrefaçon en participant activement à la reproduction, offre à la vente et vente de ses marques;
  • Cdiscount a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire
  • Cdiscount, a manqué à son obligation d’information loyale, claire et transparente au titre des articles L.111-1, L. 111-5-1 et L. 121-17 du code de la consommation et des dispositions de la loi n°206-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique ;

JAC demandait notamment:

  • la somme provisionnelle de 160.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait des actes de contrefaçon, d’abstention et de négligence de Cdiscount, de 120.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire, et de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du non-respect à son obligation d’information loyale, claire et transparente;
  • la communication, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, des quantités des modèles de sacs à dos incriminés, vendus en France et sur le territoire de la communauté européenne, ainsi que toutes information pertinente permettant d’identifier les revendeurs dans le but de déterminer l’origine et l’ampleur du réseau de distribution ;

 

En réponse, Cdiscount indique qu’elle se contentait d’offrir aux vendeurs des prestations techniques, automatiques et neutres, identiques pour tous les vendeurs et n’influant pas sur le contenu des annonces ou sur l’exploitation de ce contenu, et que les services optionnels proposés aux vendeurs n’impliquaient ni intervention sur le contenu des annonces, ni connaissance de celui-ci :

  1. la recherche des produits grâce à des mots-clé, procéderait d’un algorithme usuel, automatisé, utilisé par toutes les places de marchés en ligne,
  2. la perception d’une commission serait un procédé usuel et automatisé, permettant à la plateforme de se rémunérer,
  3. l’existence d’un espace personnalisé pour les vendeurs constituerait une fonctionnalité usuelle permettant de rationaliser l’organisation et la présentation de ses services afin d’en faciliter l’accès aux consommateurs en regroupant, notamment, sur une même page toutes les offres d’un même vendeur,
  4. la notation des vendeurs serait une fonctionnalité offerte aux internautes dont le traitement est entièrement automatisé,
  5. s’agissant des produits épuisés, le message « Ce produit est temporairement indisponible, nous cherchons une meilleure offre » serait affiché automatiquement et le renvoi vers d’autres annonces en cas de rupture de stock ne caractériserait pas un rôle actif dans la promotion des annonces mais serait le résultat d’un algorithme,
  6. les outils de gestion et de promotion représenteraient une fonctionnalité usuelle permettant aux vendeurs de mieux suivre leurs ventes, à savoir des services automatisés mis en œuvre à la suite d’une demande du vendeur en ce sens,
  7. le service de logistique proposé par Cdiscount aux vendeurs n’impliquerait pas une connaissance active des produits vendus.

 

Le tribunal juge qu’elle :

“ne produit aucun élément de nature à démontrer l’existence d’un rôle actif impliquant des choix éditoriaux de la part de Cdiscount et plus largement la connaissance ou le contrôle des contenus litigieux. Au contraire, les fonctionnalités précitées apparaissent constituer des opérations techniques qui participent de l’essence du prestataire d’hébergement, lesquelles n’induisent en rien une sélection des contenus mis en ligne et sont justifiées par la seule nécessité, encore en cohérence avec la fonction de prestataire technique, de rationaliser l’organisation du service et d’en faciliter l’accès à l’utilisateur sans pour autant lui commander un quelconque choix quant au contenu qu’il entend mettre en ligne. ».

Certes, Cdiscount a immédiatement retiré les annonces litigieuses suite aux mises en demeure et sa responsabilité ne pouvait donc pas être engagée en sa qualité d’hébergeur pour n’avoir pas retiré ou rendu impossible l’accès aux contenus illicites. Mais c’est cette qualification de simple hébergeur qui est à nouveau contestable. Cdiscount ne jouerait pas un rôle actif impliquant le choix de ses fournisseurs et la connaissance ou le contrôle des produits qu’elle distribue ?

Cette interprétation extensive d’origine prétorienne du statut d’hébergeur créé initialement en 2004 par la LCEN au bénéfice de simple hébergeur tel que OVH et transposant la directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, a permis aux plateformes communautaires distribuant des contenus culturels contrefaisants de bénéficier du régime de responsabilité limitée. Il aura fallu attendre presque 20 ans et la nouvelle directive sur le droit d’auteur publiée le 17/05/2019 au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) pour corriger cette dérive prétorienne et imposer aux plates-formes telles que Youtube la reconnaissance et le filtrage des contenus illicites dont elles ont tiré des profits massifs au détriment des créateurs, producteurs et radiodiffuseurs qui eux, s’acquittent des droits et sont victimes d’une distorsion de concurrence et baisse d’audiences et recettes publicitaires significatives au profit de ces plates-formes. Ainsi, l’article 17 de la directive rend enfin les plates-formes de partage responsables des contenus postés publiquement par les internautes.

Les plateformes communautaires sont aujourd’hui responsables des contenus postés par les internautes mais les plateforme d’e-commerce ne seraient pas responsables des annonces postées par leurs fournisseurs professionnels ? Combien de temps va-t’il encore falloir attendre pour que les plateforme d’e-commerce (Cdiscount, Amazon, etc.) soient reconnus responsables des produits qu’elles distribuent sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement via leur marketplace?

 

https://www.legalis.net/actualite/contrefacon-de-sacs-eastpak-cdiscount-a-le-statut-dhebergeur/

https://www.legalis.net/jurisprudences/tgi-de-paris-3eme-ch-2eme-sec-jugement-du-28-juin-2019/