CJUE au service des GAFAM

Récidivant ses erreurs d’interprétation de la directive e-commerce de 2000 ayant consacré l’irresponsabilité au sens propre comme au sens figuré des grandes plateformes avec toutes les conséquences que l’on connaît aujourd’hui (contrefaçons aux droits d’auteurs et au droit des marques, désinformation, incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité, atteintes à la dignité de la personne humaine, etc.), la CJUE vient de donner raison à Google, Meta et Tik Tok qui, plutôt que de tout mettre en oeuvre pour vérifier et supprimer les contenus illicites, s’attachent à nouveau à contester la législation d’un état membre de l’UE qui ne pourrait pas soumettre un fournisseur d’une plateforme de communication établi dans un autre Etat membre à des obligations générales et abstraites au non du principe de libre circulation des services de la société de l’information.

L’Autriche a introduit en 2001 une loi qui oblige les éditeurs nationaux et étrangers de plateformes à mettre en place :

  1. des mécanismes de déclaration et de vérification des contenus potentiellement illicites;
  2. une publication régulière et transparente sur les signalements de contenus illicites.

Fair enough ?

Pas pour Google, Meta et Tiktok soutenant que cette loi est contraire à la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 qui était obsolète avant son entrée en vigueur antérieure au développement des réseaux sociaux. On se demande encore comment une directive a pu être considérée comme devant s’appliquer à des services en ligne pour lesquels elle n’avait absolument pas été conçues.

Le CJUE considère que les Etats membres autres que l’Etat membre d’origine d’un service de la société de l’information ne peuvent pas adopter des mesures à caractère général et abstrait s’appliquant indistinctement à tout prestataire d’une catégorie de services, ce qui remettrait en cause :

  1. le principe du contrôle dans l’Etat membre d’origine du service concerné;
  2. la libre prestation des services et le bon fonctionnement du marché intérieur, les plateformes concernées étant alors soumises à des législations différentes.

Comme en matière fiscale où les vieilles règles de l’OCDE reposant sur le principe de la résidence économique n’ont plus aucun sens à l’époque de la mondialisation et de la fraude fiscale des grandes plateformes maquillée en optimisation fiscale, l’UE s’attache à défendre les principes du pays d’origine (à nouveau la très laxiste Irlande, le paradis des GAFAM) et de libre circulation des services de la société de l’information au détriment des Etats membres et des citoyens européens qui souhaitent mettre fin au nouveau Far West.

 

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https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/89859-cjue-pas-obligations-generales-abstraites-plateformes.html

 

Le même jour, la CJUE a annulé l’arrêt du Tribunal sur les rulings fiscaux adoptés par l’Irlande en faveur d’Apple qui lui avait permis d’obtenir de l’administration fiscale une décision anticipative sur le traitement fiscal qui lui a été appliqué. L’Irlande avait émis deux rulings fiscaux pour déterminer les bénéfices afférents aux activités des succursales irlandaises imposables en Irlande mais qui n’étaient pas résidentes fiscales en Irlande. La CE a considéré qu’en excluant de la base imposable les bénéfices générés par l’utilisation des licences de propriété intellectuelle détenues par ces deux sociétés, les rulings fiscaux avaient accordé une aide d’Etat illégale et incompatible avec le marché intérieur et a ordonné à l’Irlande de procéder à sa récupération. En 2020, sur demande de l’Irlande et d’Apple, le Tribunal a annulé la décision de la CE considérant qu’elle n’avait pas démontré l’existence d’un avantage découlant de l’adoption des rulings fiscaux. Dans ses conclusions du 9 novembre 2023, l’avocat général propose à la CJUE d’annuler l’arrêt et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci se prononce à nouveau sur le fond.

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https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/89909-cjue-rulings-fiscaux-adoptes-par-l-irlande-en-faveur-d-apple.html

 

Ainsi, les GAFAM continuent de profiter du manque de coordination des Etats membres et institutions européennes en invoquant subtilement des directives UE les obligeant à se coordonner.