Valparaiso, la « perle du Pacifique », est un immense port entouré de collines d’où dégringolent des maisons colorées.
La ville est pauvre et délabrée, pourtant elle nous a charmé par ses labyrinthes de ruelles aux murs recouverts de fresques, ses funiculaires brinquebalants, ses vues plongeantes sur la baie, sa lumière et sa vie. A chaque pas, dans ce dédale de passages tortueux et d’escaliers aux marches incertaines, on s’attend à croiser Pablo Neruda qui écrivait « si nous parcourons tous les escaliers de Valparaiso nous aurons fait le tour du monde ». De la Sebastiana, sa demeure insolite, nous contemplons les « grappes de maisons folles » telles qu’il s’amusait à les décrire. Coiffées de tôles colorées, tournées vers l’océan et accrochées aux cerros par on ne sait quel miracle, elles penchent dans le vide et risquent d’y tomber à chaque instant. Nous logeons dans l’une d’entre elles, sur le cerro Playa Ancha, face au port.
En bus de nuit, nous rejoignons l’Araucanie, située entre la vallée centrale et les fjords du Sud et dominée par les volcans de la cordillère des Andes, dont le Villarrica qui surplombe le village de Pucón. L’Araucanie est le territoire du peuple Mapuche qui, comme beaucoup de peuples indigènes, lutte dans l’indifférence générale pour récupérer ses terres ancestrales si convoitées … Pendant toute une journée, nous pédalons péniblement le long des rudes côtes du Parque Nacional Villarrica, au milieu de rivières aux eaux cristallines et de pâturages verdoyants. Après bien des efforts nous atteignons enfin une magnifique cascade glacée. Le lendemain, pour soigner nos courbatures et nos fesses endolories, nous nous prélassons dans les thermes de Quimey-Co dont les piscines d’eau chaude se trouvent en pleine nature, au bord d’une rivière.
Après cette halte, nous traversons la frontière pour rejoindre la Patagonie andine du coté argentin. De San Martín de los Andes, nous suivons la magnifique route des Sept Lacs et arrivons à San Carlos de Bariloche. La ville a été créé par des émigrés allemands et suisses qui en ont fait la capitale du chocolat et la plus réputée des stations de ski d’Amérique du Sud. Ambiance tyrolienne et atmosphère décalée au milieu des lacs aux eaux turquoises.
Peu à peu, nous poursuivons notre descente vers l’extrême sud par la route 40, l’une des plus longues d’Amérique Latine. Entre Bariloche et El Chalten, nous passons 24h dans le bus. Progressivement le décor change. Aux paysages verdoyants se substituent des plaines semi-arides parsemées de vaches, chevaux et moutons auxquels se mêlent des autruches patagones, les nandus, et de nombreux guanacos, sorte de petits lamas au pelage ras et d’une belle couleur caramel. La route se transforme en piste poussiéreuse. Avec le soir qui arrive, une étrange lumière s’étend sur la pampa et les collines désertiques. Les lueurs dorées du soleil se fondent à l’horizon dans le bleu et le violet. L’esprit se met à vagabonder et à rêver de liberté devant ces paysages infinis et dépouillés de bout du monde.
El Chaltén, « la montagne qui fume », est un village situé sous un impressionnant massif montagneux dominé par le mont Fitz Roy, dans un paradis pour randonneurs chevronnés, le Parque Nacional Los Glaciares. Malgré nos performances beaucoup plus modestes, nous atteignons la belle cascade Chorillos Del Salto, puis le mirador de Las Aguilas, d’où nous avons la chance d’observer le vol d’un condor à l’amplitude majestueuse.
C’est à partir d’El Calafate que nous partons découvrir le Perito Moreno, le plus célèbre des glaciers qu’abrite le Parque Nacional Los Glaciares. Il parait que le Perito Moreno est le seul glacier au monde qui avance encore. Nous voilà face à ce mastodonte de glace dont les pieds baignent dans l’eau laiteuse du lago Argentino. Sous le soleil, la lumière qui brille sur les parois est intense. Celles-ci semblent illuminées de l’intérieur par une lampe bleu saphir. Le glacier craque, gronde, gémit, explose même parfois comme un coup de canon. Soudain, un bloc se détache et tombe avec fracas dans une gerbe d’eau et d’éclats de glace. Le morceau plonge dans les profondeurs du lac puis remonte brusquement comme une baleine qui jaillit hors de l’eau, avant de partir à la dérive rejoindre les autres icebergs qui flottent sur le lac.
Poursuivant toujours plus au Sud, nous rallions Puerto Natales et le Parque Nacional Torres Del Paine. Le bleu (« paine ») domine les vallées, les lacs et les glaciers du parc où se sont réfugiés de nombreux guanacos, renards, pumas et condors. Ici, on sent déjà le souffle glacial de l’Arctique qui façonne la végétation. Les arbres sont courbés et les brins d’herbe dansent sous le vent froid et puissant, formant sur la plaine des vagues ondulantes et rapides.
La ville de Puerto Natales est située sur les bords de la baie d’Última Esperanza (« dernier espoir ») au milieu d’une nature sauvage. Malgré le froid et la grisaille, on se laisse peu à peu gagner par le charme indéfinissable de cette petite ville perdue entre les fjords. Les maisons sont basses, blanches ou de couleurs vives, entourées de minuscules jardinets remplis de roses. Même le débordement de décorations de Noël de mauvais goût ne gâche pas l’impression de paix qui règne ici.
Enfin, nous atteignons le point ultime de notre périple, Punta Arenas, capitale de la région de Magellan et de l’Antarctique chilien, le bout du monde. Le détroit de Magellan fut découvert par le portugais Hernando de Magallanes au XVIè siècle. C’était une voie majeure pour relier l’Atlantique et le Pacifique avant l’ouverture du canal de Panama. Et pour nous, c’est le passage obligé vers le Monumento Natural Los Pinguinos, réserve naturelle composée des îles Marta et Magdalena qui abritent une colonie de pingouins de près de 70 000 individus. Ces petits personnages noirs et blancs qui marchent si drôlement en se dandinant viennent ici se reproduire sur le chemin de leur migration. Au retour, la mer est houleuse et il faut se cramponner fermement pour garder l’équilibre. Entre les paquets d’eau qui éclaboussent le pont, nous avons tout de même la chance d’apercevoir des « sea lions ». Leurs têtes rondes et luisantes apparaissent à la surface, puis ils sautent joyeusement entre les vagues, indifférents aux remous, avant de disparaître.
De l’extrême Sud du Chili, il nous faut maintenant rejoindre le Nord de l’Argentine. Pour rendre supportable ce long voyage à travers la plaine morne et désertique qui se déroule sous nos yeux, nous faisons halte à Puerto Madryn, une station balnéaire située au bord de l’Atlantique et des eaux transparentes du Golfo Nuevo. Nous sommes encore en Patagonie, mais en ce début d’été la chaleur est déjà au rendez-vous. A seulement quelques kilomètres de l’immense plage de la ville, deux criques abritent une importante colonie de « sea lions ». A vrai dire, nous ne savons pas exactement s’il s’agit d’otaries ou d’éléphants de mer. Par un petit matin ensoleillé, chaudement équipés de combinaisons intégrales (chaussettes, chaussons, gants et même cagoules !) nous partons nager avec eux. Le bateau s’arrête dans un concert de grognements et de cris rauques. Ces pacifiques créatures se prélassent au soleil, leurs corps ronds et dodus étalés sur le sol chaud. Certains se laissent glisser dans l’eau le long d’une rampe de pierre, comme sur un toboggan. Les sea lions sont très curieux et rapidement ils s’approchent de nous. Ils virevoltent au dessous nous, dans une sorte de ballet aquatique, nous surveillant du coin de l’œil. Joueurs, ils bondissent hors de l’eau puis replongent nous permettant d’admirer un ventre clair, des nageoires habiles ou un museau moustachu. C’est un bonheur de les voir lisses et musclés fendre les vagues.
Trop vite, il nous faut remonter à bord et retourner à Puerto Madryn. Le soir même, nous entamons les 24 h de bus qui nous mèneront à Buenos Aires.
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