Nous partons en bus pour le Nord-Ouest du Bénin par la route cabossée qui longe le Togo.

A travers la vitre, nous captons quelques bribes de vie : femmes qui pilent le manioc en cadence, leurs bébés accrochés dans le dos ; enfants qui courent dans la poussière en poussant une chambre à air en guise de cerceau ; chèvres, poules, cochons qui fouillent dans les détritus répandus un peu partout ; énormes manguiers couverts de fruits ; camions lourdement chargés de ballots de coton, qui laissent échapper quelques flocons blancs. De temps en temps, le bus s’arrête en rase campagne et le chauffeur lance un « arrêt pipi ! » à la cantonade. Les hommes descendent rapidement se soulager au pied du véhicule alors que les femmes sont plus hésitantes. La seule solution est de ne pas trop boire tout au long du trajet…

Le Nord et le Sud du Bénin sont des régions très différentes qui s’ignorent malgré leur relative proximité géographique. Alors que le Sud est plat, marécageux et bordé par l’océan, la chaîne montagneuse de l’Atakora offre des paysages contrastés, terre ocre, végétation verdoyante et nombreuses cascades.

Après 10h de route, nous arrivons à Natitingou (communément appelée « Nati ») qui est le point de départ de nombreuses excursions dont l’indispensable visite du parc national de la Pendjari, la plus grande réserve de faune de l’Afrique de l’Ouest, à la frontière du Burkina-Faso. Accompagnés d’un guide passionné et enthousiaste, Noël, nous sillonnons le parc dans une chaleur étouffante et des nuages de poussière rouge. Nous ne nous lassons pas de contempler les élégantes antilopes et les kobs de Buffon, le manège joyeux et affairé des babouins ou de leurs cousins les patas, les buffles, les hippopotames et le plumage d’un bleu éclatant du rollier d’Abyssinie.
Noël a installé deux sièges sur le toit de sa voiture, de sorte que lorsque le soleil est moins chaud, nous pouvons admirer le paysage de haut et le nez au vent.
Alors que le soir arrive, nous croisons enfin le chemin d’une nombreuse famille d’éléphants. Ils passent devant nous dans un balancement majestueux, certains font face, nous jaugent du regard en agitant vigoureusement les oreilles et finalement se détournent pour s’éloigner lentement.
Dans le crépuscule qui s’installe, alors que nous rentrons au campement, nous apercevons plusieurs lionnes sous un arbre. A quelques mètres de notre véhicule, elles nous observent intensément. On les sent sur le qui vive, prêtent à bondir de toute leur puissance. Est-ce les mêmes qui surgissent devant nous le lendemain à l’aube ? Elles sont suivies de leurs lionceaux, attendrissantes peluches auxquelles il ne faut pas se fier. Plus loin, un lion à la courte crinière caractéristique des mâles de la Penjari, traverse devant la voiture. Indifférent et sûr de lui, c’est vraiment le roi de la savane.

A la sortie du parc, couverts de poussière de la tête aux pieds, nous gagnons le village de Tanougou et ses chutes cachées au milieu d’une végétation tropicale. Il fait bon se rafraîchir dans l’eau claire et pique niquer au cœur d’une telle oasis. Après cette halte bienfaisante, nous traverserons le pays des Tata Somba pour rejoindre Koussoukoingou et y passer la nuit. Le village est minuscule, composé de ces traditionnelles fermes forteresses à un étage. Elles servent à la fois de logement, de support pour silos à grains, d’abri pour animaux et de citadelle défensive en cas d’attaques d’ennemis ou de bêtes sauvages. Les murs sont construits en banco, obtenu par malaxage de terre et d’eau, et recouverts d’un crépi d’argile, de bouse séchée et d’une décoction de noix de karité. Ils sont décorés des scarifications propres à chaque famille. L’entrée est toujours tournée vers l’Ouest car les mauvais esprits et les intempéries viennent de l’Est. Sur le seuil, est installé l’autel des ancêtres. Une fois franchi, on entre dans une pièce sombre, équipée d’une meule à grains et de rudimentaires banquettes de terre cuite. Les vieux qui ne peuvent plus monter l’escalier dorment là, à côté des poules rentrées pour la nuit. Les chambres et les greniers à semences sont installés sur le toit-terrasse. Ce sont des tourelles coniques coiffées de paille et reliées par un mur d’enceinte. Elles ne sont dotées que d’une seule ouverture, si petite qu’il faut ramper pour pénétrer à l’intérieur.

Après une rapide toilette dans la « douche » (un seau d’eau dans un recoin de la cour, entre les enfants qui jouent et les femmes qui touillent leurs marmites) nous regagnons le toit du Tata pour un repos bien mérité. Un matelas a été installé sur la terrasse et nous nous endormons sous les étoiles, entourés des immenses baobabs et irokos qui dominent le village de leurs présences réconfortantes.

Le lendemain, nous sommes levés très tôt au rythme du village qui s’éveille. Après avoir avalé un copieux bol de bouillie de mil sucrée au miel, nous partons pour Boukombé et son marché. Les marchandises sont disposées sur de petites tables ou sur des nattes à même le sol. Pour se protéger du soleil, on s’abrite sous de grossières toitures de tôle, de tissu ou de paille. Nous passons devant les étals des pagnes, des fruits et légumes, des poissons séchés, mais aussi du guérisseur. Finalement, une âpre négociation s’engage pour l’achat de deux fromages peuls, ces spécialités de la tribu du même nom, qu’il faut faire bouillir longuement avant de les utiliser dans les salades ou dans les pâtes, un peu comme de la mozzarella.

Ainsi s’achève notre séjour dans le Nord. Il ne nous reste plus qu’à subir les longues heures de route qui nous ramènerons à Cotonou, seulement égayées par les interventions des marchands ambulants qui montent à chaque arrêt pour vendre arachides, bananes séchées ou potions magiques.