Dès notre descente de l’avion, nous sommes accueillis par Khalid, le neveu de Zack, qui nous installe dans ce qui sera notre chez nous pour quelques semaines, un bel appartement moderne dans le quartier de Haie Vive à Cotonou, la capitale économique du Bénin. C’est une ville dynamique, bruyante et polluée située entre le lac Nokoué et l’océan Atlantique, sur les bords du fleuve Ouémé qui se jette dans les eaux chaudes et agitées du golfe de Guinée.

Alors que Fred avait le souvenir de « Cototrous », beaucoup de rues sont aujourd’hui pavées et leurs trottoirs vidés des commerçants qui les avaient envahis. Par cette politique du déguerpissement, empruntée à son homologue rwandais, le président Patrice Talon veut mettre fin à l’occupation illégale des terrains et trottoirs des villes du pays. Ceci a l’avantage de les rendre plus propres et moins anarchiques mais supprime le moyen de subsistance de nombreuses familles.

Ce qui n’a pas changé ici, ce sont les « zems », abréviation de zemidjians qui signifie « enlève-moi ». Les conducteurs de ces petites motos à essence frelatée sont vêtus de casaques jaunes et se faufilent sans crainte dans la circulation tumultueuse de Cotonou. Grâce à eux, nous nous déplaçons facilement, mais parfois avec quelques frayeurs, entre les différents quartiers de la ville. Nous allons ainsi régulièrement nous baigner au Dream Beach, plage privée gérée par Khalid, derrière l’incontournable Erevan, seul centre commercial du Bénin, où nous retrouvons quelques repères occidentaux. Mais on peut aussi faire les courses du haut de son zem. Tout se vend et s’achète à chaque feu rouge, où les vendeurs ambulants, marchandises sur la tête proposent fruits et légumes, pagnes, stylos, CD, robots ménagers…

Les béninois et plus généralement les africains de l’Ouest ont une véritable identité vestimentaire. Sur le marché de Dantokpa, nous allons à la rencontre des femmes d’affaires béninoises, les « mamas Benz » qui tiennent notamment le commerce de tissus. Des très chics wax hollandaises, en passant par les productions locales ivoiriennes et ghanéennes, ou le pagne chinois très bon marché, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. A chaque détours parmi les étalages surchargés, c’est une débauche de motifs et de couleurs. Ce marché est l’un des plus vastes d’Afrique de l’Ouest. Si nous ne nous perdons pas dans cette ruche bourdonnante d’activité, c’est grâce à Raffie, l’une des sœurs de Zack qui a mis son collaborateur à notre disposition pour nous guider. Après nos emplettes, nous la retrouvons dans le minuscule local regorgeant de marchandises qui lui sert de bureau et de magasin. Ici pas d’informatique, tout est noté à la main dans un cahier et les billets sont rangés par liasses dans de simples sacs en plastique. Mais la reine incontestée des Mama-Benz reste la mère de Zack qui, 20 ans après sa première rencontre avec Fred, trône toujours dans la cour de sa maison du quartier Missebo, recevant imperturbablement acquéreurs, vendeurs ou simples quémandeurs. Imposante femme d’affaires dont la robe et la coiffe traditionnelles ne font que renforcer l’autorité, elle palabre, négocie et tranche d’une main de fer tout en veillant au travail de ses nombreux comptables qui comptent et recomptent inlassablement les liasses de billets.

Cotonou offre également de nombreuses activités culturelles. Très actif, l’Institut Français organise expositions, concerts et débats. Toujours de bons conseils, notre ami Ivan nous a mis en contact avec Méline qui travaille sur la Francophonie. Très vite nous sympathisons avec cette expatriée qui s’intéresse autant à la culture de son pays d’origine qu’à celle du Bénin. Les « bons plans de Méline » nous accompagnent tout au long de notre séjour, comme par exemple les virées du mardi soir à « la cabane du pêcheur » pour voir un film les pieds dans le sable et la tête dans les étoiles.

Un beau matin, nous partons en pirogue sur le lac Nokoué vers Ganvié, ville lacustre qui compte plus de 30 000 Toffinu. Ces habitants de l’eau habitent dans des maisons sur pilotis, circulent exclusivement en pirogues et vivent principalement de la pêche. Tout comme celle de Cotonou et de la plupart des villes du Bénin, l’histoire de Ganvié est étroitement liée à celle de l’esclavage. En effet, au XVIIIe siècle, les razzias esclavagistes des rois d’Allada puis d’Abomey ont contraint les populations à se réfugier dans les zones marécageuses du lac Nokoué.

Nous passons une nuit dans une petite auberge perchée sur l’eau, en famille, puisque nous sommes les seuls clients. Du haut de la terrasse, nous attendons le coucher de soleil en observant le manège des pirogues qui viennent s’approvisionner en eau potable à la pompe, ou des marchandes de fruits, coiffées de leurs chapeaux coniques, qui se faufilent dans la circulation dense à cette heure ci de la soirée. S’il est difficile d’y trouver le sommeil au milieu des 1001 bruits de la vie nocturne et notamment des « alléluias » fervents en provenance de l’église toute proche, c’est un lieu unique pour partager le temps de quelques heures la vie des Toffinu et s’imprégner de la bienfaisante sérénité qui malgré tout règne ici.

Le lendemain, nous reprenons une pirogue pour rejoindre Porto-Novo à 4h de navigation de là. Nous nous trouvons plongés dans un univers d’eau où le ciel laiteux se reflète dans le miroir nacré du lac. On aperçoit au loin les silhouettes de pêcheurs qui poussent vigoureusement sur leurs perches pour faire avancer leurs embarcations ; car si certaines pirogues possèdent des voiles composées de morceaux de tissus grossièrement assemblés, d’autres sont de simples barques de bois. De temps en temps, un filet se déploie, éphémère fleur blanche qui brille un instant au soleil et tombe rapidement dans l’eau. Autrefois et jusqu’à la dernière visite de Fred, les Toffinu pêchaient ainsi, à l’épervier. Mais aujourd’hui, ils surexploitent les akadja, une forme locale de pisciculture beaucoup plus productive que la pêche traditionnelle. Avec des pieux et des branchages, les pêcheurs forment de vastes enclos où les poissons sont pris au piège. Malheureusement, outre qu’ils dénaturent le paysage, ces branchages nuisent à l’écosystème déjà très fragile du lac.

Les Toffinu pratiquent également le trafic d’essence. En traversant le village semi-lacustre de Sô-Ava, nous observons les larges barges qui arrivent du Nigéria lourdement chargées de jerricans jaunes. Leurs cargaisons sont ensuite débarquées sur la berge en échange de bidons vides.

Finalement, nous atteignons un petit port et, changeant de moyen de locomotion, nous enfourchons deux zems qui nous mènent à toute allure jusqu’au centre de Porto-Novo et à la grande mosquée. La capitale du Bénin est située dans le sud-est, région peuplée par les Gun, mélange entre Adja venus d’Allada, et Yoruba originaires du Nigeria, qui pratiquent majoritairement le vaudou et l’islam. Les rues de terre de la »cité rouge », que traversent nonchalamment chèvres et poules au milieu du vrombissement des zems, sont bordées de minuscules échoppes au toit de tôle ondulée ou de demeures afro-brésiliennes très souvent décrépies et à l’air tristement abandonné. Malgré la chaleur étouffante, nous nous perdons dans leur dédale et au détour de l’une d’entre elles, nous découvrons le temple du monstre à neuf têtes, une tour de terre ocre signalée par un drapeau blanc, la couleur du vaudou.

Nous terminons cette longue journée par la visite du centre Songhaï, lieu d’expérimentation et de production agricole qui a pour mission de combattre la famine, l’exode rural et la destruction de l’environnement en formant les jeunes africains à l’agriculture, à l’élevage et à la pisciculture sur le modèle innovant du système intégré où tous les sous-produits sont réutilisés et recyclés. Les déchets des animaux sont ainsi transformés en engrais et en gaz pour faire fonctionner machines et équipements qui a leur tour transforment les végétaux en aliments pour poissons, servent à la cuisson ou à l’éclairage, ou recyclent les sacs plastiques en matériau permettant de fabriquer seaux, cuvettes, etc. Ainsi est mis en place un cercle vertueux où ce qui n’est pas consommable par l’homme est utilisé pour nourrir la faune et la flore de manière durable, ou créer de la bio-énergie. Ce système ingénieux a été conçu par un père dominicain d’origine nigériane, titulaire de plusieurs doctorats scientifiques aux Etats-Unis, qui a pris la décision de revenir en Afrique suite à la grande famine qui a frappé l’Éthiopie au début des années 80. Une nouvelle preuve que sur ce continent, tout est possible !

C’est en taxi brousse que nous rejoignons Grand-Popo située au Sud-Ouest du Bénin, à la frontière du Togo, entre le lac Ahémé et le fleuve Mono. Cette ville coloniale est un ancien carrefour commercial peu à peu abandonné après la construction du port de Cotonou. Aujourd’hui, avec sa mer turquoise et son immense plage bordée de cocotiers, Grand-Popo est un lieu de villégiature pour les « Yovos » (les blancs) ainsi que les riches béninois et togolais.

C’est là que nous découvrons la Villa Karo, un improbable centre culturel finno-africain qui héberge des artistes de tous horizons et permet aux touristes et aux enfants de profiter gratuitement de concerts, d’expositions et d’une bibliothèque. Dans son petit musée, une fresque retrace l’histoire de l’esclavage d’hier à aujourd’hui et le dessinateur de bande dessinée béninois Hector Sonon y met en scène l’histoire de Madlena, une esclave popolaise emmenée vers une plantation lointaine.

Un matin, nous partons vers la Bouche du Roy à l’embouchure du fleuve Mono, pour découvrir la mangrove, les marécages et les villages de pêcheurs où l’on fabrique encore le sel de manière artisanale. L’eau clapote doucement sur les flancs de notre pirogue tandis que notre guide nous conte l’histoire de la région, à sa manière imagée, et à grand renfort de « présentement » et « on évolue » lorsqu’il faut avancer plus vite.
Dans le but de protéger la mangrove, l’association chargée de sa préservation a installé des pancartes le long du fleuve, en pure perte. Mais, comme ici tout a un lien avec le vaudou, une méthode beaucoup plus efficace a été mise en place. Des rituels ont été pratiqués et désormais tous ceux qui abîmeront la « verdure » seront fouettés par les esprits. Peu de monde, depuis, se hasarde à enfreindre la règle…

Dès notre retour à Cotonou, nous préparons la prochaine étape de notre voyage au cœur du Bénin, le départ vers le nord. L’aventure continue !