Nous passons nos premiers jours en Colombie, à Bogota, chez Ana la fiancée de Léo, qui nous accueille chaleureusement dans son appartement de Chapinero, quartier prisé des artistes, de la jeunesse bohème et des étudiants. Léo, poète et professeur de philosophie à l’université d’Amazonie était un ami très proche de Mathieu et nous avons eu l’occasion de le rencontrer plusieurs fois en France et en Suisse.
Dès notre arrivée, nous sommes invités à la Casa Estudiantes de l’Associacion Universitaria Protierradentro, fondée par Mateo pour aider les jeunes de la région de Cauca à faire des études, quelques soient leurs origines ethniques et leurs conditions de ressources. C’est une grande maison située au cœur de la ville, qui leur permet de vivre ensemble, de se soutenir et de profiter, dans les meilleures conditions, de la vaste offre de Bogota qui possède des universités prestigieuses, publiques comme privées, considérées parmi les meilleures d’Amérique Latine. Nous partageons avec les occupants de la Casa un dîner aussi joyeux qu’instructif. Malgré la barrière de la langue, nous ressentons un véritable enthousiasme et une grande admiration pour Mateo que la plupart n’ont jamais rencontré. Ils veulent d’ailleurs en savoir plus sur lui et nous tentons, à l’aide de nos quelques mots d’espagnol et surtout de Google translate, de leur fournir le plus de renseignements possible et de leur dépeindre le Mathieu que nous avons connu.
Le lendemain, un téléphérique nous permet d’atteindre Monserrate, une église située à 3200 mètres, sur une montagne qui domine la ville. C’est un lieu de recueillement qui offre un magnifique point de vue sur la capitale, les jours où il ne pleut pas…
Nous visitons également le Museo Del Oro, créé par la Banque de la République, qui a racheté aux collectionneurs privés, ainsi qu’aux guaqueros, les pilleurs de tombes, la plus grande collection d’objets en or précolombiens. Cette exposition nous offre un aperçu des différentes civilisations indiennes, mais aussi des régions de Colombie.
A Bogota, nous mangeons nos premiers empenadas colombiens. Ces chaussons de farine de mais, frits et fourrés à la viande, aux œufs ou au fromage, se dégustent brulants, les doigts plein de graisse. Pas très léger mais délicieux et économique !
Pendant ce temps, Léo a activé son réseau et nous propose de partir sur les traces de Matéo dans le département de Cauca, au Sud de la Colombie. Notre première étape se situe à San José, petit village isolé dans les montagnes parmi les champs de café et de cannes à sucre. Le voyage depuis Bogota s’effectue de nuit et nous débarquons très tôt devant l’école où Mathieu a enseigné, entre l’église et l’arbre planté en son souvenir. Un peu perplexes, nous scrutons les alentours déserts à la recherche de quelqu’un qui nous attendrait. Finalement, une jeune femme s’approche et nous mène chez Yovani et sa mère qui nous logent jusqu’au lendemain dans la chambre qu’occupait Matéo. Assis devant un café tinto bien sucré, nous reprenons des forces tandis que les amis de Matéo arrivent les uns après les autres. Il y a là Patricia et Esneider, mais aussi Israël et toute sa famille. Ce dernier est l’auteur d’un documentaire sur l’organisation de la communauté paysanne dans l’esprit et sous l’influence de Mateo.
La journée s’écoule ainsi, rythmée par les visites, les rencontres, les cafés et les repas partagés avec ces gens si accueillants. Grâce à eux, nous découvrons le terrain sur lequel la Casa Mateo, consacrée à la politique et à l’organisation paysanne de San José, va être construite. Ce beau projet sera lancé officiellement en décembre, à la date à laquelle chaque année le village lui rend hommage.
Après une nuit à San José, nous devons atteindre notre deuxième étape, Inza, à la rencontre de la famille Morales. Au petit matin, nous nous postons devant la maison de Yovani pour attendre le bus, en compagnie de tous nos nouveaux amis réunis pour nous dire au revoir. Pédro, le chauffeur, arrive dans son bus bringuebalant. Moustache noire qui lui barre le visage, un poncho sur les épaules et le cure dent derrière l’oreille, il affiche un air roublard et semble plus préoccupé par les billets qu’il amasse au fur et à mesure que les gens montent, que par la sécurité de ses passagers. Le bus cahote péniblement sur la piste sinueuse et boueuse, à flanc de ravin et se remplit sans cesse. Des gens montent même sur le toit parmi les sacs, les caisses de bananes et de légumes. C’est jour de marché à Inza. Après un voyage éprouvant et angoissant, nous nous retrouvons enfin, un peu secoués, sur la place du village. A peine le temps de réaliser que nous sommes arrivés en un seul morceau et déjà une femme se présente à nous en disant « Mateo ». Ouf ! Nous sommes attendus.
Laura nous invite à séjourner chez elle à Guanacas, village proche de Inza, ou fut construite la Biblioteca Casa del Pueblo, un autre grand projet communautaire développé par Matéo. Ce centre culturel, éducatif, sportif et social est un lieu unique, construit avec l’aide de l’ambassade du Japon et du Ministère de la Culture. C’est la fierté des habitants de la région qui ont participé activement à son élaboration à hauteur des compétences et des moyens de chacun. Son architecture à la fois moderne et traditionnelle est l’oeuvre de Simon Hosie qui a remporté un prix à la Biennale d’architecture en 2004. C’est un concept qui symbolise le projet de vie de Mateo : vivre avec les communautés paysannes autochtones dans un espace populaire commun. C’est également là, au milieu de ce bouillonnement d’activités et parmi les livres que reposent maintenant ses cendres.
Nous restons 3 jours dans la maison de Laura accueillis comme si nous faisions partie de la famille. Un matin, nous prenons un petit bus pour San Andres et le site archéologique de Tierradentro. Cet endroit doit sa dénomination, Terre de l’intérieur, à la résistance farouche qu’opposèrent les populations à l’arrivée des conquistadors. C’est le plus grand ensemble de sites funéraires précolombiens du pays. Les archéologues y ont découvert près de cent hypogées, sépultures souterraines de grandes dimensions, auxquelles on accède en descendant des escaliers en colimaçon. Pour les peuples précolombiens, la préservation de la mémoire des chefs politiques ou religieux était d’une importance capitale. Dans un premier temps, le corps du défunt était placé, couché ou accroupi, dans une sépulture. Dans un second temps, les Indiens déterraient leurs morts afin de placer les os dans des urnes funéraires. Ces urnes étaient transportées vers les hypogées où elles étaient conservées.
Après avoir chaudement remercié la famille Morales pour son accueil, nous entamons le voyage de près de 5h qui doit nous mener de Inza à Popayan. « La ville blanche » est l’une des plus belles cités coloniales de Colombie, elle regorge de maisons aux murs peints à la chaux et de magnifiques églises. C’est ici que, le temps d’un dîner, nous faisons connaissance de Marco, le jeune réalisateur du documentaire « Biblioteca Casa Del Pueblo » et de Vivianne, la fille de Laura.
Nous reprenons ensuite notre route pour le petit village de San Agustín, dans le département de Huila, réputé autant pour ses sites archéologiques que pour ses paysages magnifiques. A cheval, nous empruntons des chemins escarpés et verdoyants qui traversent des champs de canne à sucre, de bananiers, de piments et de lulos (petits fruits au goût un peu semblable à celui du kiwi). Des plantations de café sont accrochées à flanc de montagne et l’on aperçoit la rivière Magdalena qui coule au fond de la vallée. De temps en temps, apparaît une maison aux couleurs vives, à demie cachée par des bougainvilliers éclatants ou d’autres fleurs exotiques et luxuriantes. D’étranges statues hantent la campagne de San Agustin, vestiges de civilisations bien antérieures à celle des Incas qui ont mystérieusement disparu. Ces sculptures sont difformes : tête énorme, corps trapus, jambes quasiment inexistantes, et pourtant il s’en dégage une impression de paix et d’harmonie. Beaucoup d’entre elles représentent des animaux comme le singe, l’aigle et le serpent, chacun symbolisant une divinité. Il en résulte des statues hybrides, entre humains et animaux. Enigmatiques dans la lumière du soir qui dore leurs formes arrondies, elles n’ont pas fini de livrer le secret de leur existence.
Notre périple au Sud de la Colombie se termine par Florencia, où Leo a fait une partie de ses études et enseigne aujourd’hui la philosophie, la littérature et la poésie. La région de Caqueta est méconnue des touristes car elle fut l’un des fiefs des FARC et des narcotraficants. Bien que la situation se soit apaisée, la guérilla entre les différents groupes paramilitaires a laissé des traces durables et visibles. On ressent ici plus qu’ailleurs les séquelles de ces évènements encore si proches.
Située aux portes de l’Amazonie, cette région est pourtant magnifique, le climat y est chaud et humide et nous avons profité tous les jours de ses nombreuses rivières.
Nous avons accompagné Léo et sa famille pour un pique nique typiquement Colombien au pied d’une cascade. Premier chose à faire dès l’arrivée, allumer un bon feu de bois pour faire cuire longuement le sancocho, la soupe traditionnelle. Dans une énorme marmite remplie d’eau, la tante et la cousine de Léo font mijoter maïs, bananes plantain, manioc, tomates, oignons, nombreuses herbes et quatre poulets ! La cuisson durant des heures, nous avons tous le temps de nous baigner dans l’eau rafraichissante de la rivière, avant de déguster ce plat robuste et nourrissant, largement arrosé de limonada maison.
Le lendemain, nous partons tous les deux pour une « croisière » sur le rio Orteguaza. Le bateau est rempli de familles Colombiennes en week-end et c’est dans une ambiance joyeuse, conviviale et un peu folle que nous longeons les berges de la rivière. Des arbres majestueux et débordants d’oiseaux alternent avec des pâturages dans lesquels paissent les troupeaux. Le capitaine est si heureux de recevoir deux gringos Français dans son embarcation qu’il lance la Marseillaise à plein décibels dès les premières minutes du voyage.
Finalement, le jour du départ arrive. Il est temps de dire au revoir à Léo qui nous a si bien reçu. Nous traversons la Colombie du Sud au Nord pour rejoindre la côte caribéenne qui est la région la plus septentrionale d’Amérique du Sud.
Nous restons quelques jours dans un petit village de pêcheur, Taganga, à 5 km de Santa Marta. De là, il est possible de rejoindre de nombreuses plages dont celles du Parc national de Tayrona, l’une des plus belles régions de la côte caribéenne. A 15km de Santa Marta se trouve également le petit village Minca connu pour ses cascades Mararinka et Pozo Azul qui coulent au milieu d’une nature sauvage.
Nous terminons notre voyage par Cartagena de Indias, charmante et nonchalante ville créole à demi cachée derrière ses remparts. Ici la mer est partout. Elle lèche les trottoirs et envahie les rues au gré de ses allers et venues. Nous arrivons le jour du match Argentine-Colombie marqué par une vague de maillots de foot aux couleurs nationales et la musique latine omniprésente dans tout le pays. Ces chansons joyeuses, mélancoliques ou rebelles, mais surtout d’amour, se répandent dans les rues, à la plage, au bord des rivières, dans les transports, sur les balcons, dans les cuisines et même au milieu des montagnes lorsque l’on croit être seul. C’est sans doute l’élément culturel le plus répandu avec l’architecture coloniale hispanique dont nous découvrons un bel échantillon à Carthagène. Outre le commerce de l’or et des émeraudes, la ville se développa grâce à la traite des esclaves, car si la Couronne d’Espagne avait interdit l’esclavage des Amérindiens, elle accorda à certains notables le privilège de participer au marché des esclaves Africains. Ces notables locaux amassèrent d’énormes fortunes et firent construire de superbes résidences dans le Centro histórico qui font le charme de la ville. C’est également la raison pour laquelle la région caribéenne est beaucoup plus métissée que le Sud de la Colombie.
La Colombie est un pays méconnu, contrasté, chaleureux et attachant dont on comprend mieux maintenant l’amour que lui portait Matéo.
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