Après un mois passé à Remire-Montjoly, nous emménageons à Cayenne dans notre nouvelle maison, située Anse de Montabo en lisière de sa magnifique plage et commençons notre vie ultramarine.
Pendant que Anne découvre sa nouvelle vie professionnelle et ses collègues, Fred creuse la terre durcie par le soleil de la saison sèche pour y installer un élément incontournable en Guyane, la piscine !
Le jardin qui entoure notre maison ayant été laissé à l’abandon par les précédents locataires, nous faisons une razzia d’arbres fruitiers et de plantes locales sur les marchés alentours. Fred plante goyavier, manguier, arbre à chadek, jasmins brésiliens, arachides pour le gazon, citronnelle, atoumo, moringa et plusieurs bananiers rouges de Cacao, car nous sommes très friands des bananes qu’ils produisent. Etaient tout de même déjà sur place des bougainvilliers orange et blanc, trois cocotiers qui nous fournissent en cocos délicieuses et un goyavier très prolifique également. Nous voilà donc tout près d’être entourés d’un véritable jardin tropical, ce qui fait le bonheur des colibris, des tyrans quiquivi et de nombreuses grenouilles.
Nos premiers visiteurs Christine et Jean, dit « Les Mouillère », arrivent au début de la petite saison des pluies qui a lieu de mi-novembre à février, confirmant la réputation de Christine connue pour amener partout la pluie avec elle.
La pluie détermine le rythme des quatre saisons guyanaises liées aux mouvements de la Zone Intertropicale de Convergence (ZIC). L’anticyclone des Açores situé dans l’Atlantique nord dirige vers la zone équatoriale des vents de nord-est, alors que dans l’Atlantique sud, l’anticyclone de Sainte-Hélène dirige des vents de sud-est. Ces alizés se chargent d’humidité tout au long de leur parcours maritime entre l’Afrique et l’Amérique du Sud, et créent des cumulonimbus, nuages à fort développement vertical donnant des orages et de lourdes précipitations. Durant la petite saison des pluies, la ZIC se rapproche et passe une première fois sur la Guyane. Le petit été de mars correspond à la position extrême sud de la ZIC qui stationne près de l’équateur avant d’amorcer son retour vers la Guyane. Puis arrive la redoutée grande saison des pluies d’avril à juin correspondant à la remontée de la ZIC qui passe lentement une seconde fois sur la Guyane, mai étant le mois le plus pluvieux. Enfin arrive la saison sèche de juillet à novembre, la ZIC étant repoussée progressivement sur l’océan au large de la Guyane.
Cayenne
Les Mouillère arrivent donc avec la pluie, mais, malgré nos craintes, cela ne dure pas et leur séjour se déroule sous un climat ensoleillé et agréable. Ils s’acclimatent rapidement à notre nouvel univers et à ce département « hostile » à grand renfort de siestes dans le hamac et de Caïpirinhas, mais aussi en dégustant mangues, papayes, dachines et poissons locaux achetés de bon matin à la criée. Dès le lendemain de leur arrivée, une balade dans les rues de Cayenne leur permet de découvrir la place des Palmistes et son célèbre hôtel du même nom, les vieilles maisons créoles aux couleurs joyeuses et aux balcons en bois ou en fonte travaillée, ainsi que le marché si bigarré.
Kourou
De manière impromptue, lors d’un déjeuner, nous apprenons que le lancement de la fusée Ariane, déjà repoussé deux fois, aura lieu le soir même. Les trois Mouillere prennent alors, sur le champ et sans une hésitation, la route pour Kourou. Là-bas, ils tentent sans invitation et donc sans succès, de s’introduire dans le Centre Spatial Guyanais (CSG). C’est finalement sur la grande plage de Kourou qu’ils contemplent l’événement , car cette fois-ci, la fusée est bien partie ! Quant à Anne, alertée par un grondement qui a fait vibrer les murs de la maison, elle a pu voir l’énorme panache de fumée zigzaguer et s’étaler dans le ciel depuis le jardin. Cette situation au plus près de l’équateur, dans une zone sans cyclone ni tremblement de terre, permet aux fusées de rejoindre rapidement le point de mise en orbite des satellites.
Mana et Saint-Laurent-du-Maroni
Sans accorder de répit à nos touristes, nous partons pour Saint-Laurent-du-Maroni, car Anne doit y aller pour une réunion. Nous passons par la route de Mana. Cette commune, riche d’un passé marqué par la ruée vers l’or, nous laisse pourtant un sentiment mitigé, avec ses vieilles et pauvres maisons de bois, entre abandon et tristesse. Il doit falloir un peu plus de temps pour en découvrir le charme dont certains nous ont parlé. Nous ne nous y attardons pas, sauf pour répondre à un appel vidéo du cousin Thibaud qui, depuis le sud de la métropole, vient prendre des nouvelles de la famille. Contraste étonnant des technologies qui s’invitent dans cette petite bourgade isolée.
L’ouest de la Guyane est la région où se côtoient le long du fleuve Maroni, Surinamais, Amérindiens et Noirs marrons, descendants des esclaves qui se sont révoltés et enfuis des plantations avant l’abolition de l’esclavage.
Nous arrivons le soir venu, dans l’un des nouveaux lotissements situés en périphérie de Saint-Laurent, construits afin d’absorber l’explosion démographique venue du Suriname. Peu rassurés tout d’abord par l’impression de grande pauvreté que dégage le quartier où nous devons loger, nous y passons finalement un séjour très agréable, dans un appartement moderne qui surplombe un terrain vague, où les enfants du quartier jouent pieds nus au football avec un ballon de fortune.
Le lendemain, nous déposons Anne devant l’une des belles bâtisses coloniales du quartier officiel, pour son rendez-vous professionnel. Non loin de là se trouvent le tribunal, la sous-préfecture devant laquelle de nombreuses familles attendent d’être régularisées et un magnifique bâtiment qui a lui aussi gardé ses fonctions initiales. Il s’agit de la trésorerie, dotée d’une façade soignée et de colonnes de bois sculptées, les services publics toujours installés au rez-de-chaussée et le logement du percepteur à l’étage.
Après avoir déambulé dans les rues de Saint-Laurent et le long du Maroni, les Mouillère partent à la rencontre de Madame Nelly, dans un village amérindien appelé Paddock. Il y découvrent l’artisanat Imiawale et achètent des bijoux, mais aussi une spécialité amérindienne, un attrape-rêves en graines et raffia de palmier bâche, connu pour capter les songes envoyés par les esprits, conserver les belles images de la nuit et brûler les mauvaises visions aux premières lueurs du jour. Ce joli et utile mobile est désormais installé sur notre terrasse à Cayenne.
Après avoir retrouvé Anne, nous visitons le camp de la Transportation, lieu historique où les bagnards, arrivant du long voyage depuis la métropole ,étaient débarqués avant d’être répartis dans les différents bagnes du territoire. De 1857 à 1938, ce camp accueillera 70 000 hommes, déportés (prisonniers politiques), transportés (condamnés à une peine de travaux forcés), ou relégués (petits délinquants récidivistes dont la métropole ne voulait plus) et un millier de femmes. Pour les relégués à qui l’administration offrait logement et terres une fois purgée leur peine, le projet politique était de « condamner, amender et coloniser ». Notre guide, protégée du soleil éblouissant par son ombrelle rouge, nous fait découvrir le Quartier des Relégués, le Premier Quartier pour les bagnards en partance pour les Îles du Salut et les Deuxième, Troisième et Quatrième Quartiers réservés aux condamnés dangereux et isolés des autres. Le Quartier Spécial était dédié aux condamnés à la guillotine. Le bourreau était un bagnard volontaire ayant droit de ce fait à certains privilèges.
Cette journée s’achève par un bon dîner sur le bateau-restaurant La Goélette, installé dans les vestiges d’un ancien voilier, le Golden Harvest, bibliothèque itinérante qui s’est échouée sur les berges du Maroni face au Suriname.
Le lendemain, nous terminons notre séjour dans l’ouest guyanais par une balade en pirogue sur le Maroni. Nous somme pilotés dans cette aventure par Géronimo venu du village amérindien Espérance. Nous nous dirigeons d’abord vers Saint-Jean-de-Maroni, ce qui nous permet de découvrir ébahis la largeur impressionnante du fleuve. Nous empruntons ensuite de discrets bras du Maroni , où il faut de temps à autres, plonger rapidement dans la pirogue pour éviter les gifles de la végétation qui les recouvrent. Finalement, nous accostons « clandestinement » sur les berges du Suriname, dans un village amérindien. Quelqu’un, devinez qui, demande s’il ne nous faudrait pas un visa… Mais comme le dit Géronimo, « pour les Amérindiens, il n’existe pas de frontières ». Notre capitaine ayant une course à faire, nous voilà à Albina en face de Saint-Laurent-du-Maroni. C’est là que nous réalisons pleinement les conditions d’extrême pauvreté des surinamais, ainsi que les trafics en tous genres qui se déploient entre les deux villes.
Les îles du Salut
Alors que Anne a du regagner Paris et ses grèves de transports, il est temps pour Les Mouillère de se reposer aux îles du Salut, désertes en pleine semaine. La beauté du paysage fait oublier ce qui fut une salle de torture il y a à peine un siècle. Jean peint tandis que Christine se baigne dans la piscine des bagnards. A l’heure du petit déjeuner, un magnifique ara aux couleurs vives, vient dérober un croissant à même leur assiette et le déguste sans vergogne sous leur nez.
Marais de Kaw
Une des destinations prisées par les cayennois le week-end est la montagne de Kaw qui surplombe les Marais éponymes. Dans ces eaux sombres, se côtoient caïmans, anacondas, zébus, canards musqués, piprites, jacanas, hérons, aigrettes, grands échassiers et singes hurleurs. Nous naviguons à travers la savane inondée, au milieu des moucou-moucou aux larges feuilles en forme de cœur, pour rejoindre un écolodge flottant, après une heure et demie de pirogue. C’est là que nous dormons, non pas en hamacs, car nous n’avons pu nous résoudre à infliger cette expérience aux Mouillère, mais dans des lits, certes un peu humides, mais qui donnent directement sur la beauté des marais. Le soir, après le dîner est organisée une sortie nocturne à la recherche des caïmans. Si il en existe plusieurs sortes dans les marais, les caïmans noirs, les dangereux mais rarissimes caïmans rouges et enfin les caïmans à lunette, nous ne verrons que ces derniers. Le plus impressionnant étant celui qui flotte entre deux eaux, tel un tronc d’arbre mort, à l’avant du bateau et que nous ne découvrons qu’en allant nous laver les dents avant de nous coucher…
A l’aube du lendemain, laissant les seniors profiter de leur petit déjeuner, nous quittons silencieusement l’écolodge en canoë. La nature se réveille sous la brume dans le chant de multitude d’oiseaux. C’est un moment magique. Nous nous enfonçons plus profondément dans les marais et soudain, un rugissement énorme, une sorte de sirène qui se relance sans cesse, nous fige sur place. Il s’agit d’une bande de singes hurleurs qui se déplace dans la colline toute proche. Puis le son s’arrête brutalement et nous retournons au camp.
Montsinéry
Sur le chemin du retour vers Cayenne, nous faisant un décrochage par Montsinéry. Une antenne gigantesque permettant à RFI d’émettre sur toute l’Amérique latine nous accueille à l’entrée de ce petit bourg calme et serein, installé face à l’immensité de son domaine fluvial aux nombreuses méandres.
Cacao
Impossible de repartir en métropole sans avoir visité Cacao, le pays des Hmongs, son célèbre marché du dimanche et le musée le Planeur bleu. C’est là qu’officie Philippe Soler, instituteur et passionné d’insectes et de papillons. On apprend beaucoup de choses et on y admire des dizaines de spécimens dont les redoutés (souvent à tort) mygales, les sympathiques matoutous, les incompris cafards, les somptueux morpho bleu, mais aussi les très dangereux scorpions Tityus obscurus.
Sentier de Loyola
Les Mouillère terminent leur séjour, par le sentier de Loyola à Cayenne, qui démarre non loin de notre maison. Il grimpe à travers une belle forêt secondaire et c’est une des particularités que nous apprécions beaucoup ici, la nature est partout présente, même en ville. Sous le couvert des arbres, il fait encore plus humide et moite qu’en bord de mer. Nous traversons les ruines d’habitations jésuites, nous perdons dans des abattis illégaux, pour finalement arriver au pied d’un imposant fromager, arbre sacré ici et au Brésil, à tel point que le tracé des routes doivent les contourner. Nous apercevons de petits singes saïmiris qui jouent et bondissent dans des massifs de bambous, par contre pas de paresseux pour cette fois…