Pour une fois, nous troquons le zem contre une voiture climatisée et c’est Gaston, le jeune fondateur des touts récents Taxis Cotonou qui nous conduit à Ouidah.
Centre historique, dont le port était jadis connu pour son rôle majeur dans la traite négrière et le commerce d’arachides et d’huile de palme, Ouidah est l’un des foyers béninois du vodun. Les esclaves ont ensuite exporté leurs croyances au-delà des mers, en Amérique du Sud et en Amérique centrale, et particulièrement en Haïti et au Brésil.
Le commerce des esclaves, pratiqué avec les Européens, suscita au XVIIIè siècle la convoitise des rois d’Abomey qui finirent par détrôner le roi de Ouidah pour s’emparer de ce marché si lucratif. Le déclin de Ouidah s’amorça à la fin du XIXème siècle, avec la défaite du roi Béhanzin face au français, puis la construction du port de Cotonou.
Nous commençons notre visite par la forêt sacrée. Selon la légende, elle marque l’emplacement où, au XIVè siècle, le roi Kpassè, fondateur de la ville, aurait miraculeusement disparu et se serait transformé en iroko. Cet arbre incarne l’esprit du roi qui ne meurt jamais, il voyage… L’air est moite, les moustiques nous attaquent férocement et c’est dans une atmosphère un peu oppressante que nous cheminons parmi les statues des dieux locaux jusqu’à l’entrée interdite d’un temple vodun où de jeunes initiés suivent leur apprentissage auprès de vieux sorciers.
Nous rejoignons ensuite le fort portugais, fief du brésilien Francisco de Souza, un marchand d’esclaves nommé au XIXème siècle par le roi Ghézo pour le représenter auprès des Européens. Le fort restera sous souveraineté portugaise même après l’annexion du Dahomey par la France. Ce n’est que lors de l’indépendance du Dahomey en 1960, que les Portugais quitteront le fort, non sans avoir mis le feu au bâtiment. Dans le musée qu’il abrite, nous apprenons que les esclaves pouvaient être troqués contre de simples coquillages. Afin d’équilibrer les navires, les cales étaient remplies de coquillages chargés dans les îles lointaines et ensuite abandonnés sur les côtes africaines. Les habitants des lieux commencèrent à les récupérer pour les utiliser comme monnaie. Devant ce phénomène, les Européens n’hésitèrent pas alors à utiliser ces coquillages pour acheter des esclaves.
Ainsi, des vies humaines étaient échangés non seulement contre des armes ou de l’alcool, mais également contre des objets de pacotille et de simples coquillages.
Pour en apprendre davantage, nous empruntons la route des esclaves qui va de la place des enchères à la plage où attendaient les navires. C’est sur ce chemin que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont effectué leurs derniers pas sur leur terre natale. La place des enchères a été créée par le roi Ghézo qui confia à son ami De Souza le soin de vendre ses prisonniers de guerre, victimes de razzias, coupables d’adultère etc. Nous nous tenons sous l’arbre où les enchères se déroulaient, face à la résidence des De Souza, famille encore très respectée à l’heure actuelle. Après la transaction, les esclaves se voyaient apposer la marque de leur acheteur au fer rouge et étaient dirigés vers l’arbre de l’oubli pour un rituel destiné à leur faire perdre tout repère, à oublier leur passé et leur culture. Ils étaient ensuite enfermés dans les cases Zomaï (« là où la lumière n’entre point ») pour tester leur résistance. Ils y restaient plusieurs semaines, dans l’obscurité totale et dans les conditions de confinement qu’ils allaient trouver sur les bateaux. Les morts et les trop mal portants étaient jetés dans une fosse commune.
Venait ensuite une dernière étape, celle de l’arbre du retour, planté dit-on, sur la tête d’un homme enterré vivant. Ce rituel a été mis en place par un autre roi d’Abomey, Agadja, pour prévenir toute vélléité de rébellion. Les esclaves tournaient trois fois autour de l’arbre, garantie que, quoiqu’il arrive, leur esprit reviendrait au pays de leurs ancêtres. Pour finir, enchaînés les uns aux autres, ils étaient conduits sur la plage, là où se tient maintenant la Porte du Non-Retour. Beaucoup tentaient de se suicider en avalant du sable ou en se jetant à l’eau, pour éviter d’embarquer sur les navires où ils étaient entassés dans des conditions inhumaines.
Cette plongée dans l’histoire de l’esclavage nous permet de revenir sur quelques a priori, de comprendre le contexte et le rôle des différents acteurs de la traite, mais aussi de constater la perception très différente que chacun peut en avoir. Depuis l’abolition, les européens ont développé une forme de culpabilité. Pour les descendants d’esclaves, c’est la rancœur qui domine, et peut être aussi le sentiment qu’on leur doit quelque chose. Quant aux familles africaines, enrichies grâce à la traite négrière, elles ne semblent pas mal perçues ici. On estime au contraire qu’elles ont réussi et certains de leurs membres en éprouvent même de la fierté. Bien sur, la situation est certainement plus complexe, ce ne sont là que nos impressions, suite à nos rencontres et nos lectures.
Il est temps pour nous de reprendre pied dans le présent en allant visiter la Fondation Zinsou, la première structure béninoise dédiée à l’art contemporain. On y expose des œuvres d’artistes locaux et internationaux, dans une magnifique villa de style afro-brésilien qui contient également une bibliothèque et un café joliment décoré de pagnes colorés. Dans ce lieu serein et reposant, nous découvrons des créations de Cyprien Tokoudagba, Jean-Dominique Burton, Bruce Clarke, etc.
Nous terminons la journée par les visites de la basilique Notre-Dame et du temple des pythons qui se trouvent face à face, signe qu’au Bénin, les religions coexistent en bonne intelligence. Ce temple vodun, consacré au culte du python, abrite des dizaines de spécimens qui se prélassent dans une petite case lorsqu’ils ne s’enroulent pas autour du cou des visiteurs. Ce serpent totalement inoffensif, considéré comme protecteur et bienfaiteur, est un dieu important dans la région. On reconnaît ceux qui pratiquent son culte aux scarifications qu’ils portent sur le visage et qui symbolisent les marques frontales du python.
Quelques jours plus tard, nous partons pour Bohicon, à proximité d’Abomey, en compagnie de Méline et de ses amis Mapi et Jean-Lin. Là-bas, Théo notre guide, nous attend avec des zems, pour une longue chevauchée à travers la brousse jusqu’au petit village de Djihami. En chemin, nous faisons halte devant des temples vodun et Théo tente de nous expliquer les rudiments de cette religion complexe, basée sur la croyance en un monde peuplé d’esprits, qui imprègne le quotidien d’un grand nombre de Béninois. Après deux heures de route à travers les champs, les orangers et les palmiers, nous entrons dans le village. Il est composé de petites cases ocres qui s’organisent autour d’une place de terre battue soigneusement balayée, sur laquelle nous montons nos tentes. Toute la vie du village est concentrée ici. Les femmes discutent en préparant le souper sur un feu de bois, les hommes assis par terre jouent à l’awalé, ce jeu qui se pratique avec de grosses graines en guise de pions. Des porcelets trottinent à pas légers, tandis que les chèvres gourmandes engloutissent les pelures d’oranges cultivées à profusion aux alentours.
D’abord un peu intimidés, les nombreux enfants nous dévisagent en gloussant, serrés les uns contre les autres en un groupe compact d’où émergent de grands sourires blancs. Rapidement, ils s’enhardissent et s’approchent de nous, les plus grands portant les bébés dans leurs bras ou sur leurs dos, enroulés dans un bout de pagne. Fred sort un ballon de son sac et une vague de cris aigus s’élève tandis qu’ils sautent en tous sens pour l’attraper. C’est l’euphorie.
Si tout est surprise et étonnement pour nous (un véritable choc des cultures et des modes de vie) les villageois nous observent également avec beaucoup de curiosité et rient de nous voir faire, ou s’esclaffent franchement lorsque le soir venu, nous nous essayons à suivre leurs déhanchements frénétiques au rythme des gons et des calebasses.
Le sodabi, liqueur obtenue par distillation du vin de palme, coule à flot et favorise les rencontres inédites malgré la barrière de la langue.
Au petit matin, il nous faut saluer chaque famille avant notre départ. C’est ainsi que nous cheminons de case en case, accompagnés par un nombre croissant de villageois et d’enfants rieurs. C’est l’occasion de prendre une série de portraits que nous leur enverront plus tard par l’intermédiaire de Théo.
Dès notre retour à Bohicon, et malgré une chaleur torride, nous enfourchons des vélos pour visiter les environs. Notre première halte a lieu au village souterrain d’Agongointo-Zoungoudo, qui abrite des sortes de niches creusées profondément dans le sol servant autrefois de refuge aux guerriers. Puis, la journée se termine par un passage au marché des produits médico-magiques ou fétiches vodun. Dès notre arrivée, nous sommes saisis par l’atmosphère oppressante et malsaine qui règne dans ce lieu. Nous avançons lentement sous des regards pesants. Visiblement, nous ne sommes pas à notre place. Autour de nous, les cadavres d’animaux s’amoncellent sur les étalages. Chouettes, crapauds, serpents, oiseaux, têtes de buffles, caméléons…réduits à de pitoyables petits tas plumes ou de chairs racornies. Des peaux de singes se balancent sur des piquets tandis que d’étranges statuettes semblent nous observer méchamment de leurs yeux morts. L’odeur est suffocante. A chaque pas supplémentaire, une sensation de tristesse nous envahit et notre cœur devient plus lourd. Lorsque nous arrivons devant un crane d’éléphant, nous faisons demi-tour d’un commun accord. L’impression de malaise et de répulsion nous poursuit un moment après avoir quitté ce lieu sinistre.
Le lendemain, nous partons pour Abomey, autrefois capitale de l’un des plus puissants royaume d’Afrique de l’Ouest, le Dahomé. Fondé par Houégbadja (1645-1685), il restera en place 300 ans jusqu’au règne d’Agoli-Agbo (1894-1898) mis sur le trône par les français après qu’ils aient exilé le roi Béhanzin, figure légendaire de la lutte contre la colonisation. Douze palais ont été construits dans la ville royale, puisque tout nouveau souverain se devait d’édifier un palais à proximité de celui de son prédécesseur. Aujourd’hui, seuls les palais de Ghézo (1818-1858) et Glélé (1858-1889) peuvent être visités. Il s’agit de modestes constructions de terre d’un seul niveau, dans lesquelles on trouve différents objets, dont le trône de Ghézo monté sur quatre crânes humains, et des bas-reliefs qui représentent les emblèmes et devises des rois. En voici quelques exemples très imagés :
– Houegbadja : un poisson qui a échappé à la nasse n’y retourne pas ;
– Ghezo : si chacun de vous, fils de cette nation, peut boucher un trou avec son doigt, la jarre retiendra l’eau ;
– Glélé : le lionceau sème la terreur parmi ses ennemis dès que ses dents ont poussé.
Ainsi s’achève notre découverte de l’histoire et de la culture du Bénin, dont les traditions représentent une richesse à préserver, mais également un poids dont les béninois doivent s’émanciper pour pouvoir se révéler au monde moderne.